vendredi 18 décembre 2020

L'Incivilité des fantômes (2017)

À bord du Matilda, qui vogue parmi les étoiles depuis des centaines d'années, Aster, une femme noire des bas-ponts, assiste le Chirurgien, un métis des hauts-ponts. La société de ce vaisseau est extrêmement hiérarchisée, avec à sa tête le souverain Nicolaée, représentant de la religion et garant de la mission du Matilda, à savoir atteindre une hypothétique terre promise. Aster étudie aussi les journaux laissés par sa mère, qui s'est suicidée le jour de sa naissance et qui avait découvert des vérités oubliées.



Bon, ce roman de Rivers Solomon ne me tentait guère, l'idée des sociétés ultra-hiérarchisées avec les riches exploiteurs d'un côté et les pauvres exploités de l'autre me semblant totalement insipide si ce n'est pas Zola ou Maupassant qui s'en occupe, mais je l'ai reçu en cadeau (et de la part d'une amie qui ne lit pas de SF, en outre!) et j'ai donc attaqué ma lecture pleine de bonne volonté. Comme je le craignais, la sauce n'a pas du tout pris, mais pas pour les raisons que j'anticipais: le problème a été que j'ai trouvé le tout extrêmement confus.

Au début, la présentation de la société m'a semblé laborieuse; on recueille des bribes d'information au fil des conversations et j'ai eu du mal à les recouper pour comprendre comment tout ceci était organisé. Le simple plan du vaisseau m'a totalement échappé. Les ponts sont numérotés de A à Z (enfin, le pont le plus bas cité est le Y, mais je suppose que ça va jusqu'à Z...) et on imagine une superposition linéaire, de haut en bas, mais les ponts agricoles (dont je n'ai pas retenu les lettres, ou dont on ne connait pas les lettres tout court) sont placés en rond autour d'une étoile artificielle qui fournit chaleur et énergie. Donc, je n'ai pas compris si le vaisseau est rectangulaire ou rond, ou à géométrie variable...

À maintes reprises, l'enchaînement des phrases m'a semblé bancal, comme si la fin d'un paragraphe n'avait rien à voir avec le début ou que les gens répondaient à côté de ce qu'un autre personnage venait de leur dire. Cela va jusqu'à l'apparition ou la disparition d'un truc en plein milieu d'un chapitre, comme un manteau tout au début: Aster le prend à la main, le manteau tient très chaud, tu as l'impression qu'elle va l'offrir à quelqu'un qui souffre plus d'elle du froid... Et, non, on ne sait pas, le manteau n'est plus cité. L'a-t-elle gardé à la main pendant toute la conversation sans rien en faire? Aucune idée.

Je suis aussi restée perplexe face à la clandestinité. Le Matilda est ultra hiérarchisé et il y a des gardes partout, mais Aster passe son temps à aller dans des endroits où elle n'a pas le droit d'aller en ne se faisant prendre que rarement et en ne prenant guère de précautions. À la fin, elle monte même jusqu'au pont A, ni vue ni connue, tranquillou.

Il y a aussi ce conduit d'aération ou monte-charges abandonné qui lui permet d'entrer dans un endroit extrêmement important, lui aussi abandonné (pourquoi? Depuis quand? Est-il franchement possible que la direction du vaisseau [divugâcheur] ait l'oublié l'existence de navettes permettant de quitter les lieux et ne se soit jamais rendu compte que la mère d'Aster y a pénétré? [Fin du divugâcheur]) Pourquoi Aster et son amie Giselle échouent-elles à atteindre le sommet du monte-charge après des heures (si ce n'est pas des jours, je ne sais plus) d'efforts quand elles sont enfants alors qu'Aster y parvient en un clin d'oeil une fois adulte?

Et concernant les agissements de la mère d'Aster: [divugâcheur] elle a inverti la trajectoire du Matilda pour le ramener sur Terre, mais depuis 25 ans personne ne s'en est rendu compte? Et alors, à quoi est due la coupure de courant du début du roman, supposément provoquée par un autre changement de direction? Qui a modifié la trajectoire, pourquoi, pour aller où? Et pourquoi, dans ce cas, le Matilda apparait-il à proximité de la Terre à la fin? [Fin du divugâcheur] Sérieux, je n'ai rien compris.

Arrivée en vue de la fin, j'ai profité d'une insomnie pour feuilleter les 200 premières pages et relire en diagonale les passages qui me semblaient importants. Ça m'a éclairci les idées en ce qui concerne la haine de Lieutenant, le successeur de Nicolaée, envers Aster, mais le reste est demeuré bien obscur.

Pour couronner le tout, malgré un certain intérêt pour la découverte des mystères que j'espérais comprendre, je n'ai ressenti aucune empathie pour Aster et ses compagnons d'infortune – malgré un quotidien éminemment néfaste composé de froid, de privations, de violences et de viols – et j'ai pris en grippe Giselle, que j'ai trouvée irrespectueuse et insupportable...

Très franchement, la moitié des problèmes que j'ai ressentis s'expliquent probablement par le fait qu'il s'agit d'un premier roman; j'ai eu l'impression que Rivers Solomon a vu les choses en grand mais n'a pas été capable de concrétiser cette vision. Il y a des idées, mais beaucoup de travail pour rendre la chose publiable. Je ne m'explique donc pas le succès du bouquin. Je vais m'accrocher à la maigre consolation d'avoir lu, pour à peine la deuxième fois de ma vie si je ne me trompe pas, un livre écrit par une personne n'ayant pas la même couleur de peau que moi... 😜

Les copains sont unanimes, ce livre est extraordinaire. Allez donc voir ailleurs si ces fantômes y sont!

PS: Vous noterez que j'ai formulé de billet de manière à ne pas me prononcer sur le genre de Rivers Solomon, qui utilise le pronom they singulier en anglais, sans pour autant avoir recours au pronom iel, auquel je ne m'habitue pas. Je n'ai cité son nom que deux fois et je n'ai utilisé qu'un seul adjectif, capable, qui ne change pas au féminin et au masculin en français. Je voulais faire quelque chose de beaucoup plus complexe mais je rédige ce billet en catastrophe la veille de sa publication, donc je manque de temps (et j'ai très très envie d'éteindre l'ordinateur pour commencer le deuxième tome de la Passe-Miroir 🤩). Il faudra que je lise un autre livre écrit par une personne se considérant comme non-binaire pour me faire un petit défi rédactionnel à l'avenir.

PS2: Si vous estimez que c'est moi qui n'ai rien compris au bouquin et que les réponses à mes questionnements sont évidentes, je serai ravie que vous me donniez les numéros de page concernés pour que je puisse me rendre compte de ce que j'ai raté.
 
PS3, plus tard: Une amie me signale qu'écrire "une personne se considérant comme non-binaire" ne convient pas, l'identité de genre étant, justement, une identité et non une considération ou un avis. J'en prends bonne note et je ne répèterai pas cette formulation à l'avenir. Je laisse ça là dans le présent billet pour réfléter l'évolution de ma rédaction.

PS4, plus tard aussi: Dans ma hâte, j'ai commis l'impardonable: je n'ai pas cité le traducteur!! C'est la honte, l'indignité professionnelle. Il s'agit de Francis Guévremont, dont la bibliographie est joliment variée.

20 commentaires:

  1. Visiblement y a plein de trucs qui te gênaient dans le livre qui ont bloqué ton acception de l'histoire. Ca n'en fait pas un bouquin pas publiable. Il n'est certes pas parfait mais c'est un bouquin très riche, très atypique, avec des personnages qui m'ont emporté, qui porte un sujet intéressant qui pour changer est raconté du point de vue d'une personne concernée. Voilà comment j'explique le succès qu'il a rencontré auprès de ma personne.

    Après il n'y aucun des points que tu soulèves qui s'est imprimé dans ma mémoire que soit j'ai oublié soit je n'ai pas vu. Mis à part peut être l'insupportabilité de Gisèle avec laquelle je suis d'accord avec toi, mais c'est avant tout un personnage que j'ai trouvé hyper tragique et très intéressant.

    Pour la forme du vaisseau, à dire vrai, je pense sincèrement que ça n'a pas beaucoup d'importance mais sinon on peut mettre un rond dans un rectangle et des coursives droites dans le reste du vaisseau par exemple.

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    1. @Tigger Lilly: Tout à fait, ce n'est pas très clair mais mon "à géométrie variable" signifiait "rond par endroits, rectangulaire dans d'autres, en forme de bateau ailleurs, etc." Ce qui n'a aucune gravité en soi, mais a contribué à me laisser perplexe, faisant partie des nombreuses choses sur lesquelles j'ai butées à maintes reprises. Ensuite, il est vrai que le point de vue d'Aster est unique; elle s'interroge sur la manière dont elle s'exprime et dont les gens vont réagir, par exemple. Mais n'ayant ressenti aucune empathie pour elle et les autres personnages, je suis restée totalement en dehors.

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  2. Ah, zut. Très clairement, rien de ce que tu cites ne m'a dérangé. Soit parce que je n'y vois pas de problèmes - j'imagine notamment que le vaisseau est gigantesque, d'une taille difficilement envisageable, ce qui suffit à expliquer pas mal de choses à mon avis - soit parce que ce sont des éléments à mon avis mineurs par rapport au sujet et à l'intérêt premier du livre. Mais bon, on ne peut pas tous accrocher aux mêmes choses et toujours réussir à dépasser nos premiers à priori.

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    1. @Baroona: Tout à fait, on ne peut pas tous aimer les mêmes choses. En me relisant, je me trouve même bien dure, en fait. Je n'ai pas aimé, hein, mais je pense que j'étais contrariée d'avoir peiné dessus quand j'ai écrit ce billet. ^^

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  3. ah ça partait mal d'emblée, du coup peut-être n'étais-tu pas dans les bonnes dispositions pour lire ce roman?

    Je réserve mon avis à quand et si je le lis ^^

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    1. @Ite: Je n'avais pas envie de le lire, mais en même temps j'avais plutôt envie de passer un bon moment maintenant qu'on me l'avait offert... 😂

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  4. Je te comprends un peu, j'ai trouvé ce roman intéressant mais comparé aux avis des autres j'ai un peu l'impression d'être passée à côté. Du coup j'ai envie et pas envie en même temps de lire Les abysses.

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    1. @Vert: Huhu, dilemme terrible! Moi, la question ne se pose pas...

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  5. Bon, perso, avoir à écrire un billet en faisant attention aux pronoms utilisés, ça me découragerait presque de lire le livre! Je sais, je suis de la vieille école, pas taper svp... Par contre, le fait que les avis soient si contrastés, ça me donne plutôt envie, j'adore ça!

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    1. @Grominou: Héhé, c'est une nouvelle contrainte à découvrir. Je finirai par faire une formation sur l'écriture épicène, à mon avis, car un client finira bien par me demander d'écrire ainsi. Cela dit, la page Wikipedia de Rivers Solomon renvoie vers une interview dans laquelle *elle* accepterait le pronom féminin si la langue utilisée n'a pas de solution telle que le "they". Malheureusement, l'article est réservé aux abonnés et je n'ai donc pas pu le lire.
      À mon avis, tu apprécierais ce livre bien plus que moi. Je pense notamment que tu ressentirais plus d'empathie par les personnages, et que tu serais donc prise par les évènements.

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  6. Oh ben mince alors que tu n'aies pas aimé ! Je n'ai pas du tout relevé les problèmes que tu cites pour le coup.

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    1. @Shaya: C'est ce que tout le monde dit, je ne sais pas ce qu'il s'est passé 🤪 Quelqu'un finira bien par venir me donner les numéros de page qui vont bien...

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  7. On sent effectivement que tu es déçue, dommage :-/ Je comprends que tu puisses être agacée de ne pas pouvoir te représenter le vaisseau. Du coup je passe d'un "pourquoi pas" à "plutôt pas"... mais si je le lis, j'essaierai de penser aux points d'interrogation que tu as soulevés ;-)

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    1. @Ksidra: Non mais vas-y fonce, tous les copains ont trouvé ça génial. Et je compte sur toit pour m'envoyer les numéros de page! 🤩

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  8. Beaucoup aimé ce roman très riche thématiquement, mais l'habillage romanesque n'est en effet pas tout à fait maîtrisé. Ce n'est sans doute pas pour cet aspect que le roman est encensé. D'une certaine manière, c'est comme dans un jeu de société aux mécanismes bien huilés (et qui a du succès grâce à ça) mais dont le thème "visuel" est plaqué et ne sert qu'à enjoliver les choses. Ceci dit, ça ne m'a pas dérangé plus que ça. Mais je comprends que ça puisse gêner.

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    1. @Lorhkan: Mince, j'ai perdu mon propre commentaire, je me félicite! Je disais que ton billet est justement l'un de ceux qui me laissent penser que j'ai raté un truc. Et puis j'ai eu un vrai problème d'empathie. Le roman s'ouvre par une amputation et je n'ai pas du tout ressenti d'empathie pour la jeune fille amputée.

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    2. Ah oui, forcément, ça n'aide pas. Surtout si ça arrive dès la première scène, c'est mal engagé...
      Désolé de t'avoir orientée vers un truc qui ne t'a pas convaincue...

      *T'as vu comment je maîtrise l'accord des participes passés ? :D *

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    3. @Lorhkan: Oh, ce n'est pas spécialement toi qui m'as mal orientée, le roman m'a été offert par une amie qui ne fréquente pas les blogs et ne lit pas de SF. D'ailleurs, c'est un beau succès pour Rivers Solomon: cette amie m'a offert de la SF! C'est fou.
      Bravo pour les participes passés 🤩 Les participes passés c'est la vie!

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  9. J'avais envie de le lire, je le lirai dans l'avenir, j'espère mieux apprécier que toi. APrès, je suis assez coutumier de détester les livres plébiscités...

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    1. @Le chien: J'ai hâte de lire ton avis!! Et je compte sur toi pour lire mes divulgâcheurs et m'indiquer les numéros de page pour m'éclairer.😂

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