dimanche 28 mars 2021

The Collected Stories of Arthur C. Clarke (2001)

Cet hiver, je me suis attaquée à un gros pavé qui attendait dans ma pile à lire depuis fin 2018: l'intégrale des nouvelles d'Arthur C. Clarke publiée en 2001 par Gollancz, The Collected Stories. Pas moins de cent nouvelles et de 966 pages écrites dans une petite police. Je m'étais donné deux mois pour le lire, j'en ai mis quatre et demi. 😃

Bien entendu, commenter un tel pavé dignement exigerait d'écrire un autre pavé et le présent billet n'est donc pas du tout exhaustif. En outre, le fait de lire les textes sur une période aussi longue rend difficile d'en avoir une vraie vision d'ensemble.

Les nouvelles réunies ont été publiées entre 1937 et 1999, même si on constate un ralentissement considérable à partir des années 1970: seulement quatre textes durant les années 70, trois durant les années 80 et trois durant les années 90. L'énorme majorité des nouvelles a donc été publiée entre les années 30 et 60 – en plein âge d'or de la science-fiction, si je ne m'abuse. Chaque texte est précédé de quelques courtes lignes rédigées par l'auteur, ce qui permet d'en savoir un peu plus sur sa création ou son destin.

Tout commence avec Travel by Wire!, publié en 1937 dans Amateur Science Fiction Stories. Une histoire de téléportation qui ouvre très bien le bal puisqu'elle est franchement drôle avec ses techniciens qui se brouillent avec les biologistes dont il ont volé le hamster. 😂 J'ai l'impression que la chose est peu connue, mais Clarke fait toujours preuve d'un certain humour dans ses textes, et ce recueil n'est pas en reste.

"It was quite a party; the highlight, I think, was Commander Krasnin trying to do a Cossak dance in a space suit."
Venture to the Moon (1956)

Une bonne dizaine de textes provient du recueil Tales from the White Hart (1957), un ensemble de récits faits dans un pub, le White Hart, par Harry Purvis, un beau parleur qui tisse à merveille la réalité, la science et la fiction: "Tiens, sers-moi une bière, je vais vous raconter comment j'ai participé à la plus grande découverte militaire du siècle". Ils sont tous fort sympathiques, même si celui qui me reste le plus en tête est The Defenestration of Ermintrude Inch (1957), à cause de son titre fort explicite. (Avec un nom pareil, on dirait un personnage d'Amélie Nothomb, ah, ah!) Si vous avez l'occasion de lire ce recueil, n'hésitez pas. Je crois que c'est de là que provient un texte avec une chute très amusante, mais dont je ne retrouve pas le titre: [divulgâcheur] cette terrible cargaison qui fait fuir un chauffeur de camion à toutes jambes et qui évoque la menace nucléaire s'avère être en réalité... un essaim d'abeilles! [Fin du divulgâcheur]

"Yes – swordplay. Here was a civilisation which had atomic power, death rays, spaceships, television and suchlike modern conveniences, but when it came to a fight between Captain Zoom and the evil Emperor Klugg, the clock went back a couple of centuries."
Armaments Race (1954), une nouvelle qui parle du tournage d'une série – où l'on constate que Clarke avait vu venir la Guerre des étoiles avec ses vaisseaux de la taille d'une planète, ses technologies futuristes et... ses sabres laser!

Une chose qui me marque toujours chez Clarke, c'est sa capacité à exprimer le temps géologique et astronomique, à transmettre la sensation vertigineuse de ces laps de temps se calculant à une échelle tout à fait différente de celle d'une vie humaine, que ce soit pour un homme plongé dans un sommeil artificiel ou pour des êtres très différents de nous parcourant l'univers à la recherche de créatures sentientes. Un texte m'a semblé particulièrement brillant, Nightfall (1947): trois pages sur la ville de Shakespeare et une belle réussite. Clarke présente aussi notre bonne vieille Terre dans un futur éloigné, quand elle a énormément changé, à tel point qu'une civilisation extraterrestre pourrait prendre un dessin animé de Mickey pour un documentaire...

Autre caractéristique bien connue des textes de Clarke: l'émerveillement suscité par l'espace. Il y en a à revendre dans ce recueil, c'est juste dingue. Colonisation de la Lune, par exemple avec une coopération quelque peu espiègle entre Russes, Américains et Anglais, de Mars ou de planètes éloignées... Si vous aimez voyager, c'est un régal.

"For life called to life across the gulfs of space. Everything that grew or moved upon the face of any planet was a portent, a promise that Man was not alone in this universe of blazing suns and swirling nebulae. If as yet he had found no companions with whom he could speak, that was only to be expected, for the light-years and the ages still stretched before him, waiting to be explored. Meanwhile, he must guard and cherish the life he found, whether it be upon Earth or Mars or Venus."
Before Eden (1961)

"There had, after all, been a lunar civilisation – and I was the first to find it. That I had come perhaps a hundred million years too late did not distress me; it was enough to have come at all."
The Sentinel (1951)

Humour, sciences, exploration spatiale... Et fort peu d'émotion. Seuls quelques textes se détachent sur le plan émotionnel: The Songs of Distant Earth (1958), qui tourne en partie sur une histoire d'amour tristoune, et un texte dont je n'ai pas noté le titre, mais qui se termine sur une bouffée d'émotion avec le vagissement du premier bébé humain né sur la Lune. Oui, vous avez bien lu. Les scientifiques se sont installés sur la Lune, leurs familles les ont suivis, et puis, un jour, une femme a accouché... Ça, c'est le genre de truc qui me retourne le cerveau et me met une claque en même temps, ça me fait totalement voir le monde autrement.

Je ne peux pas chroniquer ce recueil sans parler des textes les plus connus de l'auteur: The Sentinel (1951) et Encounter in the Dawn (1953), qui ont donné vie à 2001 des années plus tard, The Nine Billions Names of God (1953) et sa chute toute simple mais extraordinaire, The Songs of Distant Earth (1958), que j'ai déjà cité et qui a donné un roman, A Meeting with Medusa (1971), qui m'a pas mal déçue – peut-être parce que je l'ai lu un soir où j'étais fatiguée et que je me suis endormie dessus environ vingt fois, ce qui m'a obligée à le relire le lendemain –, et Guardian Angel (1950), qui est plus tard devenue la première moitié du roman Childhood's End, que je lirai un jour et que je comparerai avec la chanson d'Iron Maiden. On voit ici que l'œuvre de Clarke se fait écho à elle-même: certains thèmes reviennent dans plusieurs textes, ou bien un texte donne naissance à un autre...

Je tiens à mentionner un texte inattendu, A Walk in the Dark (1950),  qui est foncièrement une nouvelle d'horreur ou de terreur: sur une planète éloignée, un homme rejoint son camp après la tombée de la nuit, mais l'éclairage dont il dispose tombe en panne et il se souvient brusquement des rumeurs sur l'existence de créatures autochtones ne sortant que dans l'obscurité... Bien que fort peu effrayante, elle fonctionne totalement sur le ressort du "truc qu'on ne voit pas mais dont on sait qu'il est là" et je n'attendais pas du tout ça de Clarke.

Comme dans tout recueil de nouvelles, le niveau n'est pas tout à fait constant et les cent textes réunis ici ne sont pas tous marquants. Dans certains cas, je suis bien en peine de me souvenir de ce qu'il s'y passe. Mais aucun ne m'est tombé des mains ou ne m'a semblé mauvais.

Encore une chose que je voulais mentionner: Clarke présente régulièrement des civilisations humaines plus évoluées que la nôtre, non seulement sur le plan technologique, mais aussi sur le plan politique ou relationnel. Ainsi, on croisera dans je-ne-sais-plus-quel-texte un personnage qui rappelle à son interlocuteur que, au XXIe siècle, il existait encore des États et des guerres. Ça me fait le même effet que Star Trek quand on y voit un couple d'hommes et que c'est un non-sujet tellement tous les personnages s'en foutent. J'aime cet optimisme, cette manière de montrer ce qui est souhaitable plutôt que de foncer dans le catastrophisme pour montrer combien on a conscience du monde qui nous entoure. Globalement, l'avenir que nous dépeint Clarke est tout à fait souhaitable, et ça donne de l'espoir.

Un bémol, toutefois: pour quelqu'un d'aussi visionnaire sur le plan technique et sociétal, Clarke a complètement raté l'existence des femmes. 99% de ses personnages sont des hommes, et les trois seules femmes qui me restent en tête sont l'amoureuse triste de Songs of Distant Earth, la bavarde impénitente de The Defenestration of Ermintrude Inch et la petite fille protagoniste de Holiday on the Moon (1951), un texte écrit à la demande d'une "charming lady-editor" et pour un magazine "for young ladies"... 😅

Bon, et maintenant, j'attends le Bifrost consacré à l'auteur de pied ferme!

Livres de l'auteur déjà chroniqués sur le blog
Il y en a plusieurs, alors suivez le tag!

15 commentaires:

  1. 😱 cache ce divulgâcheur que je ne saurais voir !

    En tous cas c'est trop bien, ça me donne envie de lire / relire du Clarke ! j'en ai lu un peu au début, quand mes seules références en SF n'étaient que des classiques.
    Une nouvelle lue dans un hors série de Ciel & Espace consacrée à la SF m'a beaucoup marquée à l'époque... tu as dû la lire dans ce recueil.
    (... s'en va chercher le magazine en question, qui date de 2006...)
    Il s'agit de Hors du Soleil (Out of the Sun en VO si je ne me trompe pas) : de ce que je m'en souviens, des scientifiques sont témoins du passage de créatures expulsées par le Soleil, comme un signal parasite détecté par leurs appareils lorsqu'ils sont traversés par l'une d'elles. Après cela j'ai lu d'autres romans et nouvelles de l'auteur, mais celle-ci m'a particulièrement marquée, j'avais été très impressionnée par l'écriture et émerveillée par ces êtres sortis du Soleil...

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    1. @Ksidra: Mais OUI, OUI, OUI, maintenant que tu le dis, OUI, je m'en souviens de celle-là. Je me demande même s'il n'y en a pas deux extrêmement similaires. Celle que j'ai en tête est triste: le temps que les protagonistes détectent ce truc qui passe près d'eux, ils comprennent que c'était une forme de vie et qu'elle est morte.
      Il est plutôt doué pour ça, imaginer des trucs très diversifiés et très différents de nous.
      Merci pour le divulgâcheur! 😅

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    2. Oui c'est peut être bien celle-ci, avec les créatures qui s'éteignent, c'est d'ailleurs certainement ce qui fait que cette nouvelle est marquante, mais que j'ai oublié depuis. Il faut que je la relise ! :)

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  2. "Chaque texte est précédé de quelques courtes lignes rédigées par l'auteur" : c'est toujours sympa ça, ça apporte un vrai plus et donne moins l'impression d'un amas de textes.
    J'ai dû lire un seul roman de Clarke, il faudrait que j'en découvre un peu plus. Surtout que ce que tu dis de la vision d'espoir de l'auteur me parle bien - moins l'absence de personnage féminin, mais à choisir je préfère qu'elles soient absentes plutôt que certaines représentations de l'époque. ^^'

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    1. @Baroona: Je suis bien d'accord avec toi, les quelques lignes de présentation sont toujours les bienvenues. Il faudrait a minima indiquer systématiquement la date.
      Je pense que tu pourrais apprécier Rama – sans forcément avoir un coup de cœur et lancer un culte non plus, mais apprécier.

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  3. Quelle somme ! L'espace le temps, rien que ça… Ca donne vachement envie et l'action conjuguée du Bifrost (qu'est-ce qu'il tome celui-là) et ta chronique devrait augmenter le level d'envie de le découvrir davantage… Mais ce ne sera pas pour tout de suite car après avoir fini l'intégrale des nouvelles de Dick, je me pencherai plutôt sur des classiques de la sfff écrits par des autrices ^^

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    1. @Tigger Lilly: Ah je pense que tu apprécierais Clarke, mais je comprends ton choix. Et puis, tu es en pleine mission PAL à 10! Ses romans ne sont pas très longs, cela dit. 😇

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  4. Encore un auteur de SF qui gomme les femmes ! Bon ceci-dit il faudrait quand même que je lise en jour, mais peut-être pas avec ce recueil de 100 nouvelles qui a l'air plutôt intéressant.

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    1. @Shaya: Qui gomme, oublie, ignore royalement, c'est tout à fait remarquable... 🤪 Tu trouveras peut-être un roman qui fait pour toi dans le Bifrost qui lui est consacré, si tu le lis. Pour ma part, je te conseille Rama que j'ai trouvé extraordinaire.

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  5. J'aime beaucoup cet auteur et moi aussi j'ai hâte de le retrouver dans le prochain Bifrost !

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    1. @Xapur: Ah chouette, tu as bon goût!! 😊 (On notera la remarque pas du tout biaisée...) Après vérification: je l'ignorais car tes billets datent d'avant ma découverte de ton blog. Est-ce que cette intégrale te tente?

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  6. Posture assumée ce gommage des femmes? Je veux dire on a une explication quelque part du pourquoi il ne fait la part belle dans ses romans qu'aux hommes?

    Aucune idée si je le lirai one day...

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    1. @Ite: Non, absolument pas, pas un mot. L'édition date de 2001 cela dit, ce serait peut-être différent aujourd'hui.
      Je te conseille de lire Clarke, évidemment, mais tente peut-être quelque chose de plus court avant de t'engager sur ce mastodonte, il faut déjà être très accro pour le prendre en main.

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  7. "Un bémol, toutefois: pour quelqu'un d'aussi visionnaire sur le plan technique et sociétal, Clarke a complètement raté l'existence des femmes"
    J'adore xD
    J'ai beaucoup lire du Clarke quand j'étais ado et puis je me suis lassée. J'ai toujours en tête de lire Rama un jour pour boucher les trous dans mes "classiques" mais j'avoue que ça ne m'attire plus autant qu'avant.

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    1. @Vert: C'est comme Verne dans les Enfants du capitaine Grant; le gars est visionnaire, mais il a rien pigé aux aborigènes de Nouvelle-Zélande. 😂
      Oh oui, lis Rama, tu ne peux que l'apprécier, je pense! 😍

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