Dix-huitième tome des Rougon-Macquart: après les locomotives de la Bête humaine, place à la finance
et à la Bourse de l’Argent!
L’intrigue
Saccard, le spéculateur qui faisait fortune dans la Curée en
achetant des immeubles parisiens durant les grands travaux haussmanniens, rôde
à la Bourse de Paris. Il est au plus bas et ne rencontre guère d’aide parmi les
joueurs et spéculateurs, mais est toujours aussi déterminé à brasser les millions. Avec
l’ingénieur Hamelin et sa sœur Caroline, naît alors un projet d’ampleur:
fédérer les paquebots de Méditerranée et exploiter des mines en Orient sous le
chapeau d’une banque, l’Universelle.
Hamelin pourra travailler sur le terrain, tandis que Saccard se chargera de la
création de la banque et de son entrée en bourse.
Le monde de la finance
Le roman commence à deux pas de la Bourse de Paris,
institution qui y jouera un rôle essentiel. Zola nous plonge dans les arcanes
de la création d’entreprise et de la capitalisation boursière. L’Universelle
est constituée avec un capital de vingt-cinq millions de francs, à raison de
cinquante mille actions valant cinq cents francs chacune. Bien sûr, l’objectif
est ensuite de faire monter la cote de ces actions à la Bourse. Dès le début,
l’affaire est louche: le comité d’administration est créé en faisant
circuler un mensonge sur l’éventuel soutien d’Eugène Rougon, ministre de
l’Empereur et frère de Saccard, les actions ne sont pas créées/achetées de
manière bien légale (elles ne sont pas "souscrites", mais je ne
sais plus ce que ça veut dire… 😅) et Saccard se jette dans le combat à la
hausse par tous les moyens, essentiellement en achetant des actions lui-même,
sous des prête-noms, ce qui est évidemment illégal. Les concepts financiers ne
sont pas des plus clairs et le lexique présent dans cette édition du Livre de
poche est très utile, même si, parfois, je ne l’ai pas compris non plus. 😅 En
tout cas, Zola s’est bien documenté, comme toujours, et c’est assez prenant de
plonger dans la Bourse du temps du papier.
Le prix de l’argent
Bien sûr, toutes ces magouilles ont un coût, et ce ne sont
pas ceux qui prennent les risques qui vont le payer. Saccard obtient la
confiance de nombreux petits investisseurs, d’une part parce qu’il fait
beaucoup de publicité, d’autre part parce qu’il rachète des journaux et leur
fait publier, évidemment, des articles élogieux (l’indépendance de la presse,
ce thème toujours d’actualité…) et enfin parce qu’il fait courir des rumeurs
discrètes sur le véritable but de l’Universelle, une banque proche des milieux
catholiques qui aurait vocation à soutenir le Pape grâce aux investissements
des catholiques du monde entier. Parmi ces investisseurs, je me souvenais des
Beauvilliers, une comtesse âgée et sa fille, qui maintiennent un luxe de façade
en se privant du moindre confort: pourvu de recevoir avec classe deux
fois par mois, elles mangent des pommes de terre le reste du temps. Leur ruine
sera totale et RIEN ne leur sera épargné. Elles sont peut-être parmi les
personnages les plus poignants de Zola…
Un antisémite de base
L’épopée de cette banque catholique se fait en opposition à
la finance juive, incarnée par Gundermann, le roi de la Bourse de Paris.
Saccard est un antisémite de base, convaincu que les Juifs sont retors, qu’ils
contrôlent tout et que ce sont des voleurs, et il prononce plusieurs tirades
contre eux. Ce n’est pas le plus marquant dans ce roman, mais c’est intéressant
de le citer car cela fait écho à l’engagement futur de Zola en faveur de
Dreyfus; on comprend très bien que Zola ne partage pas l’avis de Saccard
et que celui-ci est en pleine théorie du complot. (Ah, si Zola avait connu le
début des années 2020, quel roman n’aurait-il pas écrit sur le complotisme… 😅)
Mme Caroline, un personnage lumineux
Face aux magouilles de Saccard et à la fin catastrophique
que l’on voit arriver, le lecteur peut trouver un peu de réconfort auprès de
Mme Caroline, la sœur de l’ingénieur Hamelin, et, dans une moindre mesure,
auprès de celui-ci. Elle est un beau personnage droit dans ses bottes, plein de
compassion pour autrui et de bon sens, et l’on s’attache beaucoup à elle malgré
ses choix malheureux. Son frère est très positif aussi, mais on le voit
beaucoup moins, vu qu’il part en Orient. Caroline, présente à Paris tout au
long de l’intrigue, a un rôle plus important et c’est son point de vue qui nous
guide dans certains chapitres. La sœur et le frère sont très différents, mais
ils font preuve d’une belle entente qui fait chaud au cœur. L’idée me vient
soudain qu’on pourrait les rapprocher de Hubert et Hubertine dans le Rêve, un
couple très soudé.
Pour finir : Zola ne serait pas Zola sans appétits
sexuels…
Bien sûr, l’Argent parle essentiellement de soif d’argent
(ah, ah!), mais il contient la dose réglementaire de sexe avec une scène
INCROYABLE impliquant la baronne Sandorf et Saccard, surpris en petite tenue
par l’amant attitré de Madame, et les suites d’un viol issu d’un lointain passé
et en entraînant un autre, triste à mourir. Comme toujours, Zola osait tout
dire, c’est épatant dans un roman d’un siècle très puritain!
Allez donc voir ailleurs si cet argent y est!
L'avis de Baroona
L'avis de Tigger Lilly