Notes de chevet de Sei Shônagon est un ouvrage japonais composé à la fin des années 990 et au début des années 1000. La vie de l’autrice est mal connue, mais on sait qu’elle était une dame d’honneur de la cour impériale japonaise, plus précisément de l’impératrice Teishi. Avec ces Notes, elle tient à la fois des listes et un journal. Parfois, elle énumère des éléments (des lacs, des choses rares, des temples…); parfois, un sujet lui évoque des anecdotes de la vie à la cour, qu’elle raconte plus précisément. Le résultat est à la fois fascinant et très difficile à lire.
Le côté fascinant est dû à la très belle traduction d’André
Baujard, qui se lit toute seule et dégage une élégance et un raffinement qui
vont fort bien au contexte de la cour impériale. Ne connaissant pas du tout le
japonais, je ne peux me prononcer sur l’original, mais on a ici l’impression
que Sei Shônagon s’exprimait avec beaucoup de clarté et de distinction et avait
beaucoup d’esprit. Les listes sont parfois touchantes et invitent à prêter
attention à de petites choses. Citons par exemple les chapitres 134 à
136: "Choses qui donnent confiance", "Choses qui rendent heureux" et "Choses
vénérables et précieuses". Tout un programme. 💖 D’un autre côté, la dame d’honneur savait aussi
mordre quand elle n’aimait pas quelque chose ou quelqu’un et n’était pas exempte
de sentiments bien humains. J’ai ainsi noté cette citation rigolote dans le
chapitre 14, "Choses détestables":
"Une personne qui vous était déjà complètement antipathique, alors qu’elle n’avait rien fait pour cela, et qui se rend coupable d’une chose qui vous déplaît."
Hélas, toute cette beauté et cet esprit ont été entravés, pour moi, par un fossé culturel franchement infranchissable. Malgré les nombreuses notes de fin d'ouvrage, j’ai globalement été à mille lieux de comprendre ce que racontait Sei Shônagon dans ses anecdotes de cour: réactions des personnages, messages implicites, coutumes de l’époque, missives contenant des bribes de poésies… l’essentiel m’échappait clairement. Je pense que le fossé est particulièrement marqué ici à cause de l’éloignement à la fois géographique et temporel; non seulement je connais mal le Japon actuel, mais en plus on parle ici du Japon du Xe siècle! Je serais certainement en difficulté pour lire un texte européen du Xe siècle, alors japonais, n’en parlons pas… J’ai noté un exemple particulièrement gros au chapitre 43, "Choses qui semblent éveiller la mélancolier":
"La voix de celui qui parle après avoir mouché, à la hâte, son nez qui coulait.S’arracher les sourcils."
Et là, perplexité de ma part. Quel rapport entre la voix de
quelqu’un qui s’est mouché et la mélancolie? Et entre l’arrachage de
sourcils et la mélancolie? Sur ce deuxième point, une note m’informe
généreusement que la chose était faite "pour s’en peindre d’autres plus
haut", mais je ne comprends quand même pas. Un lien avec l’affaissement
de la peau dû au vieillissement, peut-être? On se maquillait des sourcils
plus haut pour paraître plus jeune, de même qu'on fait, aujourd’hui, des injections de botox pour affermir le visage?
Globalement, mes incompréhensions n’étaient pas toutes aussi
marquées que sur ces deux points, c’était plutôt une impression générale de
rater des sous-entendus. Par exemple, toutes les courtisanes éclatent de rire
après que quelqu’un a dit quelque chose et je n’y vois rien de drôle…
L’ouvrage étant quand même assez dense (environ 350 pages dans un format et une police intermédiaires), je dirais qu’il est destiné à des grands amateurs de la culture japonaise, dont il forme d’ailleurs, selon l’introduction et la page Wikipédia, un chef d’œuvre littéraire (il est d’ailleurs publié par Gallimard dans une collection intitulée Connaissance de l’Orient réalisée en partenariat avec l’Unesco). Même si je n’ai pas été pleinement satisfaite de ma lecture, car je m’attendais plutôt à une réflexion sur l’impermanences des choses et, de là, sur le sens de la vie, je suis ravie d’avoir découvert ces Notes, qui restent fort agréables à lire en français et donnent assez envie… de faire soi-même ses propres listes. 😉
Moi déjà des ouvrages français du XX(I)ème siècle je peux être perdu, alors le Japon du Xème, effectivement, ça parait potentiellement difficile à appréhender. ^^'
RépondreSupprimerMais ça reste intéressant d'avoir des traces de cette époque. Comment tu en es arrivée à lire ce livre ?
@Baroona: Il était chaudement recommandé par quelqu'un qui faisait un atelier d'écriture. Au final, l'atelier n'a pas eu lieu, mais j'avais noté cette idée de faire de liste sur le modèle de Sei Shônagon.
SupprimerJ'ai ce livre dans ma wish depuis ma période dev perso. Et tu me redonnes furieusement envie de le lire, ça a l'air génial. Je suis rassurée parce perso ça ne me perturbe pas du tout de lire que s'arracher les sourcils la rend mélancolique. Je trouve ça génial. Même pas peur.
RépondreSupprimer@Tigger Lilly: Génial!! Je ne pensais pas donner envie à qui que ce soit, tu me fais trop plaisir!
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SupprimerCa a l'air bien particulier comme texte en tout cas ! N'étant pas assez fan du Japan, ce ne sera pas non plus pour moi, mais on trouvera peut-être un.e fan pour l'offrir !
RépondreSupprimer@Shaya: Ça peut faire une bonne idée de cadeau en effet, pour l'aspect patrimonial.
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