dimanche 24 août 2025

Iran Awakening (2006)

Il y a peu, mon amie de Lyon, cette femme formidable, me mettait entre les mains ce livre de Shirin Ebadi. Moi, évidemment, je n'avais aucune idée de qui est Shirin Ebadi; je n'avais même pas de vague notion comme pour Malala Yousafzai, c'était juste le vide total.

Somme toute, ça ne tombait pas trop mal, puisque cette autobiographie – que Shirin Ebadi a écrite en anglais en collaboration avec Azadeh Moaveni – commence par le début, à savoir l'enfance de l'autrice dans l'Iran des années cinquante.

Premier souvenir marquant lié à l'actualité de son pays: en août 1953, les adultes de sa famille se serrent autour de la radio pour écouter les nouvelles des troubles dans la capitale, qui débouchent sur un coup d'État et sur la chute du Premier ministre élu deux ans plus tôt, Mohammad Mossadegh. Mis à part ça, son enfance est plutôt sereine et se déroule dans une famille aisée et plutôt progressiste, qui ne la destine pas spécialement à devenir uniquement épouse et mère. Shirin entame des études dans le droit et devient juge.

Mais bon, l'Iran, c'est une histoire mouvementée. Le coup d'Êtat de 1953, orchestré par la CIA, a remis au pouvoir le shah qui était parti en exil. Le roi, donc. À partir de là, la police secrète veille au grain par la force, les riches se gavent en exportant du pétrole, le mécontentement gronde. En 1979, Shirin Ebadi soutient publiquement les troubles qui mènent à la fameuse révolution qui a fait de l'Iran la théocratie qu'il est aujourd'hui.

En quelques semaines, toutefois, elle se rend compte qu'elle a été aveugle aux idées de Rouhollah Khomeini sur les femmes et que le changement qu'elle a appelé de ses voeux, pour se débarasser du shah corrompu, autoritaire et subordonné aux puissances occidentales, repose en grande partie sur le contrôle des femmes.

De là, son parcours devient aussi politique, car elle a utilisé ses compétences juridiques pour venir en aide à des personnes visées par le pouvoir. (Elle avait du temps à leur consacrer, vu qu'elle a perdu son poste de juge parce que les femmes ne pouvaient plus être juges. 😜) Et bien sûr, cela attire une certaine attention médiatique, y compris internationale, à tel point qu'elle a été emprisonnée au début des années 2000. Et puis, en 2003, elle a reçu le prix Nobel de la paix. ✨✨✨

Ce qui est vraiment passionnant dans ce récit, c'est que rien n'est blanc ou noir. D'un côté, on pourrait dire que tout est d'un gris désespérant, entre régimes autoritaires et lecture conservatrice voire extrémiste de l'islam, mais Shirin Ebadi présente tout ça de manière assez factuelle et vivace à la fois, en détaillant son parcours, sa volonté de ne jamais reculer ou se taire, les soubresauts d'une société qui n'accepte pas les choses aussi passivement qu'on pourrait le croire, vu d'Occident.

J'en retiens plusieurs choses:

- Le ressentiment des Iraniens contre les États-Unis, ça se comprend plutôt bien quand on sait que ces derniers ont soutenu le coup d'État du shah pour renverser le Premier ministre élu démocratiquement, qui ne leur convenait pas parce qu'il avait nationalisé le pétrole. 🤡🤡🤡🤡🤡 On est sur le niveau du coup d'État de Pinochet. Ensuite, pendant les années quatre-vingt, ils ont armé l'Irak qui a envahi l'Iran et a balancé du gas sarin partout. Félicitations! Et cette année, les frappes de Trump ont dû arranger les choses, hein. Je ne dis pas qu'il est pour autant pertinent de les appeler "le grand Satan", mais on comprendra que le pays ne se prosterne pas devant eux.

- Le règne du shah, c'était la merde: oligarchie, pas d'État de droit, répression des opposants, pas de libertés. Mais les femmes étaient relativement libres, elles, dans le sens que l'État ne leur imposait pas spécialement d'obligations ou d'interdictions; la société était très patriarcale, mais ce n'était pas gravé dans la loi. C'est la révolution de 1979, et l'instauration de la République islamique d'Iran, un État théocratique, c'est-à-dire fondé sur une religion, qui a changé la donne pour elles. Rouhollah Khomeini a bâti son État sur une lecture traditionnaliste, conservatrice et mysogine de l'islam; c'est là que le chaddor est devenu obligatoire, comme c'est encore le cas aujourd'hui.

- Le président, en Iran, n'est pas extrêmement important. Il est élu par le peuple, certes, mais les candidats doivent de toute façon être validés par le régime avant de se présenter, donc il est forcément un élément du système. Le vrai pouvoir, c'est le Chef suprême de la révolution: Rouhollah Khomeini de 1979 à sa mort en 1989, puis Ali Khamenei de 1989 à... aujourd'hui. Le gars a quatre-vingt-six ans.

- L'Iran est majoritairement chiite. En fait, je le savais, car cela a son importance pour les alliances au Moyen-Orient. Mais j'ai mis du temps à percuter que "Shia" est le mot anglais pour "chiite". En revanche, j'ignorais que le terme "ayatollah" vient de l'islam chiite: il a pris une connotation négative en français, mais, à la base, c'est juste le grade le plus élevé des mollahs.

- Shirin Ebadi, elle, voudrait un État de droit qui reposerait sur des règles nettes, pas une théocratie qui repose sur l'interprétation d'un ancien texte religieux... Mais même ça, c'est présenté avec nuance, car Shirin Ebadi est musulmane croyante, en fait. Elle ne critique pas du tout l'islam en soi. Elle critique les gens qui structurent leur autoritarisme sur l'islam. C'est quand même salutaire de lire ça, car l'islam a une image déplorable en Occident. Pour moi y compris, hein. À niveau d'allumage égal, j'ai mille fois moins peur d'un allumé catholique que d'un allumé musulman. En fait, un catholique, ça ne me fera que rarement peur; un musulman, au contraire, très souvent.

- On pourrait quand même sortir de cette lecture avec une légère dépression. Quasiment vingt ans après la publication, la théocratie iranienne est toujours là, sous la direction du même vieux ayatollah (celui qui a quatre-vingt-six ans, donc) et avec la même police des mœurs qui vérifie que les femmes portent bien le chaddor. On en a beaucoup parlé en 2022 à cause de la mort de Mahsa Jîna Amini, cette pauvre fille arrêtée en raison de sa tenue vestimentaire et morte en détention...

Bon, en somme, cette lecture a été très intéressante et source de réflexions. La seule chose légèrement étonnante, c'est que Shirin Ebadi n'aborde pas la sujet d'Israel, alors que, bon, le régime iranien a tenu des propos un tantine violents sur l'État hébreu au fil des ans. Mais j'imagine que, en interne, cela les affecte moins que le flicage politique, la suspicion permanente et la répression constante des libertés...

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