Jules Barbey d'Aurevilly, c'est tout un programme! Écrivain visiblement torturé et tourmenté, royaliste et réactionnaire, fervent défenseur du "c'était mieux avant", il avait un style incomparable aux accents romantiques, pompeux et élégant à la fois, et fait partie, je pense, de ces plumes qu'on aime ou qu'on déteste. Après l'avoir rapidement abordé au lycée, je l'ai oublié pendant des années avant de le redécouvrir complètement il y a deux ans en relisant L'Ensorcelée puis en lisant Les Diaboliques.
J'ai ramené ce livre de mes vacances de juillet dernier, mais je ne sais plus si je l'ai acheté ou récupéré auprès d'une amie qui faisait du vide, et je l'ai sorti de ma pile à lire ce mois-ci car une amie m'a transmis cet article sur la Normandie de Barbey d'Aurevilly.
Une histoire sans nom (1882)
Ce recueil s'ouvre sur une longue nouvelle psychologique sombre et lugubre, qui se passe d'abord dans un village immobile à l'ombre de hautes montagnes puis dans un château normand abandonné depuis des années. Mme et Mlle de Ferjol voient leur vie bouleversée par un capucin qu'elles accueillent chez elles pendant le Carême.
Difficile de parler de l'intrigue sans tout divulgâcher. C'est une histoire bien caractéristique du XIXe, avec ses personnages torturés, ses maladies mystérieuses, ses vierges innocentes et son invraisemblance la plus absolue. Mais l'idée n'est pas, je pense, de prendre l'historie au sérieux (ou pas, donc), mais de souffrir pendant plusieurs mois avec deux personnages qui auraient pu s'aimer et se sauver mais qui n'y arriveront pas. Barbey décrit avec une lucidité terrible le processus psychologique à l’œuvre et ne nous épargne aucune des souffrances de ses personnages, jusqu'à la chute qui vient encore plus plonger l'un d'entre eux dans la souffrance et les regrets éternels.
"[...] cette vie infernale [...] à laquelle il n'y a rien de comparable dans les situations tragiques et pathétiques des plus sombres histoires. Ce fut vraiment là une histoire sans nom!"
Barbey donne ici un exemple parfait de son côté "c'était mieux avant": l'histoire se passe juste avant la Révolution française, évènement cataclysmique marquant la fin de tout ce qui était Bon et Juste et le début de la fin de la France. 😂
J'ai adoré.
Une page d'Histoire (1886 ou 1887)
Une courte nouvelle sur un frère et une sœur normands incestueux. Ce texte est tiré d'une histoire vraie et est inspiré par la visite du narrateur (Barbey lui-même, j'imagine) dans la ville dont était originaire la famille maléfique ayant engendré ces deux enfants. J'ai adoré.
"Impossible à connaître dans le fonds et le tréfonds de la réalité, éclairée uniquement par la lueur du coup de hache qui l'entr'ouvrit et qui la termina, cette histoire fut celle d'un amour et d'un bonheur tellement coupables que l'idée en épouvante... et charme (que Dieu nous le pardonne!) de ce charme troublant et dangereux qui fait presque coupable l'âme qui l'éprouve et semble la rendre complice d'un crime, qui sait? envieusement partagé..."
Le Cachet d'onyx (1831) (publication posthume en 1919)
J'ai moins apprécie ce texte qui était pourtant extrêmement prometteur, l'extrait proposé en quatrième de couverture étant à tomber! Je suis largement passée à côté à cause des digressions sur la jalousie et l'amour (qui m'ont rappelé mon ennui profond face à La Nouvelle Héloïse de Rousseau, œuvre citée ici) et des références shakespeariennes que je n'ai pas comprises. En outre, j'ai dû lire trois fois les derniers paragraphes pour être sure de comprendre (et encore...): l'auteur dit les choses crues tellement à demi-mot (pudeur oblige!) que ce n'est pas clair du tout...
Léa (1832)
Une histoire d'amour torturé et cruelle à la chute sanglante. On a ici un parfait exemple de ces mystérieuses maladies dont souffraient les héroïnes d'antan, ces beautés pâles qui se consumaient lentement sur leur chaise longue! Entre amour silencieux et angoisse face à la mort de son enfant, aucun personnage n'est épargné, et la fin est remarquablement saisissante.
Vous l'avez probablement remarqué avec les deux extraits que j'ai proposés, Barbey a un côté torturé et ténébreux qui ne convient pas à tout le monde (d'autant plus que son style est très ampoulé). C'est en cela que je le rapproche du romantisme, cette manière de se croire au centre d'un malheur cosmique et d'une damnation éternelle. D'après la biographie de cette édition Folio classique, il aurait écrit "Je suis venu au monde un jour d'hiver sombre et glacé, le jour des soupirs et des larmes..." Vous voyez le genre.
Par ailleurs, il voit Dieu partout et parle beaucoup des sentiments religieux de ses personnages, mais il est aussi profondément attiré par le mal (j'ai parlé de l'inceste) et n'hésite pas à faire saigner ses personnages. En plus, la moitié de ses histoires se passent dans une Normandie désolée, pluvieuse, coupée du monde et lu-gu-bre, c'est absolument formidable.
Je vous laisse avec le passage qui m'a le plus marquée, tiré de Léa: "Âme religieuse, toute d'amour et de dévouement, avait-elle immensément souffert, cette pauvre femme, pour sentir ainsi, comme un homme, le soudain regret qui nous prend tant de fois dans la vie de ne pouvoir poignarder Dieu", et avec la tombe du monsieur, que je suis passée voir à Saint-Sauveur le Vicomte (ville morte et effectivement d'un lugubre angoissant malgré son beau château) un jour où j'étais en vacances dans le coin. 😊
Je n'ai encore rien lu de cet auteur, il faudrait peut-être que j'y remédie un jour ... Tu dirais que certains de ses textes sont plus abordables que d'autres ?
RépondreSupprimerEncore jamais lu cet auteur, il faudrait peut-être que j'y remédie ! Tu dirais que certains de ces textes sont plus abordables ?
RépondreSupprimerPeut-être Une Page d'histoire parce qu'il est très court, ça évite de perdre du temps si on n'aime pas! :) Ou ce recueil en général, il n'y a "que" quatre textes. Évite de commencer par L'Ensorcelée ou les Diaboliques qui sont nettement plus longs.
SupprimerJe n'avais jamais entendu parler de lui, donc merci pour cette découverte ^^
RépondreSupprimerDe rien :)
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