jeudi 4 avril 2019

Bienvenue à Sturkeyville / Bob Leman en VO

Dans le cadre du financement participatif de Bienvenue à Sturkeyville, un recueil de nouvelles de Bob Leman, les éditions Scylla ont offert aux blogueurs et aux journalistes la possibilité de lire l'auteur en VO. Après un peu d'hésitation, j'ai décidé de demander le fichier proposé pour découvrir, moi aussi, cet écrivain dont je n'avais jamais entendu parler. 😕 Le fait que Xavier Vernet, le librairie de Scylla, l'ait découvert assez récemment me rassure un peu sur ce point: apparemment, Bob Leman n'est vraiment pas connu.


Par manque de temps (je me suis réveillée un peu tard!), je n'ai lu que les six nouvelles qui sont actuellement traduites par Nathalie Serval et qui formeront le recueil de Scylla, Bienvenue à Sturkeyville, mais je compte bien lire les autres, ou plutôt essayer de trouver une version papier des textes de l'auteur. Parce que c'était très enthousiasmant, tout ça. C'est la première fois que je demande un service presse et c'était chouette pour commencer.

Loob (1979)
Une belle nouvelle difficile à résumer. D'emblée, le narrateur nous annonce qu'il se trouve dans un monde qui n'est pas le sien et où il n'y a aucune trace de lui. Et il a identifié le coupable de sa présence: Loob
, une sorte d'idiot du village doté de capacités très particulières. Si la ville qu'ils habitent est pauvre et défavorisée, elle n'a pas toujours été ainsi; autrefois, c'était un de ces endroits où personne ne connaît la pauvreté et où tout le monde respecte tout le monde, ces endroits "bien comme il faut" "où il fait bon vivre"...
Un texte efficace, mystérieux, qui pose des personnages très vrais en peu de mots. Il s'en dégage une certaine tristesse et quelque chose d'étourdissant.

Feesters in the Lake (1980)
La légende veut qu'un certain lac soit infesté de feesters, de dangereuses créatures. Quand il était enfant, le narrateur adorait que son oncle Caleb, un conteur hors pair, lui raconte cette histoire. Une fois adulte, il reçoit des nouvelles inquiétantes concernant son oncle, qui semble difficilement se remettre d'une déception amoureuse et finit même par s'installer dans une vieille bâtisse au bord du lac en question, tandis que la ville de Sturkeyville est frappée par une vague de meurtres.
Un texte efficace et sobre qui rappelle forcément Lovecraft, notamment The Shadow over Innsmouth, mais d'une manière résolument différente. C'est difficile à expliquer, mais Bob Leman réussit à faire parler son narrateur comme une vraie personne; parfois, il change un peu de discours pour donner des informations sur quelque chose avant de revenir à son sujet principal; c'est très prenant et facile à lire, tout en ayant une belle puissance évocatrice. Et comme dans Loob, il y a aussi une certaine émotion, quelque chose de très triste.

The Pilgrimage of Clifford M (1984)
Une histoire de vampires (je ne divulgâche rien, on le sait dès le début) plutôt réussie et partant sur un parti pris que je n'ai jamais rencontré. Dans cet univers, non seulement les vampires existent, mais la chose est reconnue officiellement et ils sont même un sujet d'étude. Ce sont d'étranges créatures très semblables à l'être humain, mais avec une espérance de vie bien plus longue et des organes génitaux différents. On commence par quelques paragraphes sur la manière dont la mère vampire élève ses petits, puis on suit le parcours de Clifford M, un vampire qui sera élevé par les humains. C'était triste, encore une fois, et Anne Rice ne renierait pas la quête identitaire de ce personnage. 😉

Olida (1987)

Afin de ne pas divulgâcher l'histoire, je ne vous dirai pas à quel texte de Lovecraft ce texte m'a fait penser. Sachez seulement que c'était hautement lovecraftien, mais sur un ton totalement différent, comme je le disais ci-dessus: le narrateur de Bob Leman s'exprime "normalement", comme une personne quelconque, sans archaïsmes et sans le style presque grandiloquent de Lovecraft. Notre narrateur, cette fois, s'inquiète non pas pour son oncle mais pour son cousin, un vieux garçon d'une soixantaine d'années, qui annonce soudain son mariage avec une femme issue d'une famille très mal vue, une sorte de clan pauvre et dégénéré qui vit dans la montagne. Sa mère ne voyant pas une telle union d'un bon oeil, elle charge le narrateur de le faire changer d'avis, mais ce qu'il découvrira sur son cousin et sur les habitants de ce hameau en ruines ne sera pas facile à avaler.
Encore un texte efficace et sobre, très plaisant, mais j'ai regretté une certaine soudaineté dans les évènements de fin; il m'aurait fallu quelques phrases de plus, je pense, pour expliquer la soudaine action du cousin Dick et la disparition de certaines personnes. Je me suis un peu demandée "mais quand est-ce qu'il a décidé ça, lui? Quand est-ce qu'elle est sortie du décor, elle?" Mais c'est une critique mineure: cette nouvelle reste très bonne. Bob Leman maîtrisait bien son format.

Come Where My Love Lies Dreaming (1987)
Un texte très différent, sans narration à la première personne et sans action particulière. C'est l'histoire d'un veuf qui achète une maison dans laquelle il se sent bien, dans laquelle il se sent aimé, et où la souffrance liée à la mort de sa femme s'estompe enfin. Mais les choses ne sont pas forcément aussi simples ou positives. Bob Leman parle de la souffrance du deuil et d'une certaine obsession qui y est attachée et j'ai adoré. Bien que n'ayant pas ressenti d'émotion forte (je n'ai pas fondu en larmes, en d'autres termes), je me suis complètement retrouvée dans ce texte.

The Time of the Worm (1988)
De l'horreur, de la vraie. Pas de sang ou de boyaux ici mais une possession épouvantable et répugnante: depuis des années, le narrateur vit avec un ver gigantesque qui peut prendre forme humaine pendant la journée et qui contrôle ses moindres faits et gestes. C'est vraiment horrible, intolérable, d'imaginer une chose pareille. Et bien sûr, le lecteur étant encore plus méfiant que le protagoniste, il ne va pas se détendre autant que celui-ci en voyant certains signes positifs... Et à juste titre. L'horreur ne se termine jamais...

Vous l'aurez compris, je sors de cette lecture assez enthousiaste. La seule critique que je pourrais faire à ces textes, c'est qu'ils n'ont pas de style particulièrement élégant/baroque/décadent, quelque chose que j'associe étroitement au fantastique; mais est-ce bien une critique, en fait? Bob Leman a un style moderne, qui va droit au but, et qui fait passer des émotions par sa modernité même. En bref, il est plus proche de la rédaction d'un Stephen King que de celle d'un Lovecraft ou d'une Anne Rice. Et ce n'est pas un problème, c'est même plutôt intéressant, le décalage étant grand entre la manière de penser et de parler de ses narrateurs et les choses auxquelles ils sont confrontés, qui semblent tout droit sorties d'un autre âge. Décidément, les Appalaches, les montagnes de l'est des États-Unis, regorgent d'horreurs... 😈

Le financement participatif de Scylla est ouvert jusqu'à lundi, si je ne me trompe pas, et je ne peux que vous recommander d'y participer pour découvrir cet écrivain, d'autant plus qu'il est traduit par une traductrice plus que chevronnée!

10 commentaires:

  1. Je n'ai lu que ton avis sur Feesters in the Lake (1980) puisque je l'ai lue en FR, je préfère ne pas déflorer le reste. Je m'étais demandé à la lecture si on pouvait parler de nouvelle lovecraftienne mais comme j'ai très peu lu Lovecraft je ne me serais pas avancée sur la question. Maintenant j'ai la réponse :p

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    1. @Tigger Lilly: Oui, je pensais que tu voudrais te garder la surprise pour la réception du recueil. :) Et oui, c'est un thème typiquement lovecraftien, mais très différent en même temps. J'ai parlé du style, mais la progression de l'intrigue n'est pas la même non plus, Bob Leman va plus droit au but.

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  2. Ça me confirme définitivement que ce n'est vraiment pas pour moi. Mais ça a l'air d'être une chouette découverte pour les amateurs du genre. ^^

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    1. @Baroona: Ah mince, moi qui espérais plutôt faire des émules ^^

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  3. J'ai crowdfundé, j'ai hâte de le recevoir ! Et ce que tu en dis me rend encore plus pressé. ;)

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    1. @Lorhkan: Je pense que tu vas aimer l'excursion :)

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  4. Bon, après le retour du lutin et le tien, je vais me laisser tenter. Reste à ne pas zapper ce soir de participer.

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    1. @Le chien critique: J'espère que tu y as pensé ;)

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  5. Merci pour ton avis qui donne encore plus envie (même si j'en ai rien à faire de Lovecraft :P)

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