samedi 29 juin 2019

Multiple splendeur (1952)

Multiple splendeur d'Han Suyin a atterri dans ma pile à lire il y a plus de deux ans (bientôt trois, en fait...), quand une amie a fait du vide dans la bibliothèque de ses parents. Je l'ai ensuite laissé traîner pendant tout ce temps en me disant qu'il fallait que j'arrête de ramasser tout et n'importe quoi juste parce que c'était gratuit. Heureusement, j'ai fini par le lire. Et grand bien m'en a fait: c'est probablement mon coup de cœur de l'année!


L'histoire, largement autobiographique, est celle de l'amour entre une Eurasienne, Han, et un Anglais, Marc, à Hong Kong en 1949 et 1950, période à laquelle les communistes conquièrent la Chine face à l'armée du Kuomintang, le pouvoir nationaliste précédemment en place. Dans ce contexte, Hong Kong, colonie britannique, accueille de nombreux réfugiés fuyant la Chine, qu'ils soient chinois ou occidentaux, par exemple des missionnaires anglais que le pouvoir communiste n'apprécie guère, et vit comme suspendue en attendant l'issue de la guerre civile. Les communistes respecteront-ils la frontière? S'ils la franchissent, les Anglais défendront-ils leur colonie? Dans cette attente, la population ne cesse d'augmenter, nettement fracturée entre les pauvres et les riches.

Han, qui a fait ses études de médecine en Angleterre, souhaite retourner en Chine pour mettre ses compétences au service de son pays, mais la rencontre de Marc, brillant journaliste de guerre anglais, la pose face à un dilemme moral terrible.

Si j'ai repoussé si longtemps cette lecture, c'est parce que je n'avais aucune envie de lire une histoire d'amour en temps de guerre; je soupçonnais une romance tragique et fleur bleue. Mais j'ai été happée dès le prologue par les mots suivants:
"Je raconterai comment nous avons aimé, à la manière de tous les amants, et lutté pour ne pas nous laisser détruire par les petits riens de l'existence. Comment ils nous ont détruits et comment nous avons oublié. Exactement comme tout le monde. Car nous sommes, ni plus ni moins que n'importe qui, des amants éphémères, imparfaits, dans un monde d'inconstance sans fin."
Ce livre m'a séduite sur plusieurs points: l'amour absolu et fin entre ces deux personnages si différents et pleins de doutes, qui ont chacun un sens aigu de leur responsabilités; la description d'Hong Kong en suspens en cette période troublée, avec ses pauvres qui vivent dans la misère et ses riches expatriés qui se retrouvent dans les salons mondains (Tigger Lilly: Zola aurait apprécié!) et une vie, une âme toute particulière; la plume sobre mais pleine d'émotion; la lucidité avec laquelle le monde, la guerre, la souffrance, les inégalités sociales, les révolutions sont abordés. J'ai été émue et chamboulée à maintes reprises et la fin, poignante, m'a fait piquer les yeux. J'ai eu l'impression d'être un meilleur être humain après avoir lu ce livre, qui m'a fait un peu le même effet que Suite française d'Irène Nemirovsky et le Journal d'Hélène Berr.
"À chaque pas, quelque iniquité commise d'un côté était invoquée pour justifier une nouvelle violence destinée à la bannir de la surface de la terre. Et de même que le passé polluait le présent, celui-ci était sacrifié à l'avenir, et l'avenir n'était qu'une monstrueuse illusion qui avait conquis la raison de l'homme."
Multiple splendeur est un roman des années cinquante et cela se sent: le communisme chinois est encore, quelque part, plein de promesses, même si le traitement médiatique des débuts de la guerre de Corée en 1950 fait douter certains, et Han ne le condamne pas; et sa vision de la sexualité féminine fait maintenant grincer des dents ("je lui obéis en tout, soumettant ma volonté à la sienne, annihilée et obéissante, et satisfaite de n'être pas plus"). Il soulève néanmoins des questions fondamentales sur l'être humain et la société et mérité d'être lu encore aujourd'hui.

Mon seul regret est de l'avoir lu dans la traduction française de D. Olivier, convaincue qu'il avait été traduit du chinois, langue que je ne connais pas. Or, Han Suyin l'a écrit en anglais... Mais qu'à cela ne tienne: je le relirai peut-être en version originale un jour, sous le titre A Many-Splendoured Thing!

10 commentaires:

  1. Quelle lecture enthousiaste, ça donne envie !

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    1. @Tigger Lilly: Ce livre me paraît largement tombé dans l'oubli mais vaut vraiment le détour. Je pense que ça te plairait, en outre.

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  2. Comme quoi on fait parfois de chouettes trouvailles au gré des livres ramassés parce qu'ils traînent et sont gratuits ^^

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  3. Du coup, la conclusion, c'est qu'il faut continuer à ramasser tous les livres qui passent ?
    En tout cas ça a l'air bien mieux que plein de bouquins de développement personnel. =P

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    1. @Baroona: Mais carrément (dans les deux cas ^^)

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  4. Jamais lu cette auteure, tu donnes le goût de la découvrir! En plus, Hong Kong est dans l'actualité ces temps-ci!

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    1. @Grominou: Oui, c'est bien tombé, d'autant plus avec ma culture géopolitique inexistante ^^

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  5. "Je l'ai ensuite laissé traîner pendant tout ce temps en me disant qu'il fallait que j'arrête de ramasser tout et n'importe quoi juste parce que c'était gratuit. " Ahahaha, je me retrouve tellement dans cette réflexion ! (dit la meuf qui a encore craqué son slip en brocante hier).
    N'empêche que, parfois, on fait quand même bien d'accumuler des bouquins au hasard des trouvailles. On ne découvrirait pas ce genre de petites perles, sinon. Et je suis d'accord avec toi, cette citation du prologue que tu mentionnes dans ton billet est superbe et terriblement engageante !

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    1. @Lili: Tu as tout à fait raison: je dois au hasard des lectures enthousiasmantes et marquantes qui ont vraiment élargi mes horizons! <3 Je pense que tu aimerais ce livre. Je l'ai trouvé très fin.

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