Il y a quelques mois, lorsque j'ai relu Le K de Dino Buzzati, j'ai émis le souhait de ne pas attendre vingt-cinq ans avant de lire à nouveau cet auteur. Victoire! J'ai acheté Le Désert des Tartares tout de suite après et je l'ai lu assez rapidement.
J'ai déjà lu ce roman il y a une grosse dizaine d'années (oups... plutôt une petite quinzaine, à la réflexion...), et je n'ai pas trop aimé, même si j'ai noté pas mal de citations dans mon carnet de citations de l'époque. Je dois dire que cette deuxième lecture n'a pas été hyper emballante non plus, même si cela est sans aucun doute dû au moins en partie au fait que j'ai repris mon rythme de lecture normal, c'est-à-dire que je lis trop peu pour avoir une vision claire et suivie de ce que je lis. Comme Le Désert des Tartares est justement un livre assez étrange, je pense qu'il vaut mieux le lire avec des sessions de lecture assez prolongées.
Attention, ce billet sera plein de divulgâcheurs.
Giovanni Drogo, jeune soldat, quitte la maison familiale et la ville pour monter à la Forteresse Bastiani, une forteresse isolée dans la montagne, loin de tout, face à une énorme étendue vide qu'on appelle le Désert des Tartares. Il est d'abord horrifié par cet endroit morne, délaissé par l'état-major, où soldats et officiers végètent en attendant un ennemi hypothétique qui ne vient jamais. Il accepte néanmoins de rester quelques mois, puis quelques années. Et puis... la routine s'installe... L'espoir de connaître la gloire au combat renaît chaque jour en regardant l'horizon... Et puis... les années passent...
Le Désert des Tartares est un roman sur la futilité totale de l'existence humaine, le temps qui passe et un mec qui rate sa vie. Drogo s'obstinera jusqu'au bout à croire qu'il a encore le temps – le temps de se distinguer comme soldat, le temps de faire carrière, le temps d'être heureux –, mais, en fait, il n'en a plus tant que ça, il n'en a jamais eu beaucoup de toute manière, et il aurait fallu courir plus vite pour arriver... où, on ne sait pas, mais arriver quand même.
En soi, ce thème me parle beaucoup, d'une part car ça a quelque chose de consolant de voir que quelqu'un du calibre de Dino Buzzati avait ainsi peur de vivre sa vie sans rien réaliser (il a déclaré très clairement que cette attente interminable était inspirée de ses années au Corriere della Sera, où il attendait sans cesse... quoi? Le scoop qui ferait de lui une star du journalisme?) et d'autre part parce que c'est totalement ce que j'ai vécu durant ma jeunesse. J'avais l'impression que m'attendait dans mon avenir quelque chose de rutilant: un roman de fantasy d'exception que j'écrirais, une histoire d'amour digne d'un roman (mais pas de fantasy, hihi!), une relation fusionnelle avec un cheval hors du commun. Et puis, j'ai commencé à me dire que, à dix-neuf ou vingt ans, ça commençait à être louche que rien de tout ceci ne se concrétise. À quinze ans, c'est normal de n'avoir rien accompli. À vingt, ça l'est moins. À vingt-cinq, ça ne l'est plus du tout. Et maintenant, j'ai bien plus de vingt-cinq ans et il n'y a toujours rien d'exceptionnel, donc bon. La différence entre Drogo et moi, c'est qu'il continue d'espérer et de s'autoconvaincre jusqu'au bout, alors que moi j'ai accepté tout ça il y a longtemps et je profite du peu que j'ai réussi à m'obtenir en me disant que c'est certes naze par rapport à ce que j'espérais, mais c'est toujours mieux que rien du tout...
Bref. Le thème me parle, mais le roman est effectivement tellement dans l'attente et la répétition que je n'ai pas réussi à rentrer totalement dedans. Il se passe bien quelques petites choses, comme l'arrivée de cartographes du pays ennemi et la mort d'Angustina, mais c'est assez maigre. J'ai plus été touchée par la séparation d'avec le monde d'avant: lorsqu'il rentre chez lui en permission, Drogo ne retrouve pas la proximité avec ses proches et se sent bien seul. Puis les gens de la ville vivent leurs vies sans lui, il sort de leur vie, sa maman meurt (un événement décrit simplement par une chambre qui reste vide, mais ça m'a fait tellement de peine), et il se sent de moins en moins à sa place. Il en a été de même pour moi avec l'Italie et tellement d'amis... Un beau jour, tu réalises que tu ne connais même pas le nom de leurs gosses, c'est dire combien tu es sortie de leur vie...
Cette édition Mondadori contient aussi une postface intéressante d'un certain Lorenzo Viganò, et surtout les fac-similés des toutes premières notes de Dino Buzzati sur son roman, dans une écriture serrée et élégante. Le tout se termine par le fac-similé du scénario préparé par l'auteur pour une éventuelle adaptation cinématographique, qui a finalement eu lieu après sa mort et avec un autre script. Deux beaux documents que j'ai été ravie de découvrir ici. Quant à la couverture, c'est un dessin de Buzzati pour Barnabò delle montagne. Le tout forme un bouquin épais de très belle qualité qu'on a plaisir à feuilleter et à avoir dans sa bibliothèque.
La futilité de la vie, vaste sujet tout ça.... Ca semble être un roman plutôt intéressant en tout cas, merci du rappel (il est pas mal vendu en librairie)
RépondreSupprimer@Shaya: C'est un grand classique de la littérature italienne, et il est très intéressant.
SupprimerÇa m'intrigue et en même temps ça a l'air quand même moins fun que quand c'est Becky Chambers qui parle de la vacuité de la vie. Il sortira certainement un jour de ma PàL... mais peut-être pas tout de suite. 😅
RépondreSupprimer@Baroona: C'est, en effet, un tantinet moins chaleureux que Becky Chambers. 😄 Tu l'as donc dans ta PAL! Trop bien.
SupprimerLu il y a tant d'années en arrière. Me reste le souvenir d'une lecture qui touchait à l'intime, l'introspection.
RépondreSupprimerJe crois qu'il ne m'avait pas ennuyé.
C'est un bon cheminement de réussir à "accepter" (bon par la force des choses) déjà, le peu obtenu, même s'il n'est pas à la hauteur des rêves faits.
Je ne suis pas sûre d'avoir réussi à mon âaaaage, à atteindre ce stade. Ou en tout cas, pas sur tous les plans (sur certains, j'ai laissé clairement tomber ^^)
@Ite: Difficile de tout accepter sur tous les plans, et je pense d'ailleurs que ma propre résignation n'a pas grand-chose de positif. Ça ne fait pas avancer, quoi. ^^
SupprimerJ'ai beaucoup aimé ce livre, lu ado, mais je ne me rappelle plus ce que j'y avais trouvé. Tant pis. Je le relirai. J'espère qu'ils ont traduit la postface aussi.
RépondreSupprimerC'est assez intime et difficile ce que tu dis là, merci de nous partager ça.
@Tigger Lilly: J'espère que tu l'apprécieras si tu le relis!! 😊😊
SupprimerOh, merci de me dire ça, mais ce n'est plus très intime, j'ai digéré ces réflexions depuis un moment.
Je ne lis pas ton billet car je pense le lire prochainement!
RépondreSupprimer@Grominou: Super! J'espère que tu apprécieras!!
SupprimerEnnio Morricone a fait une très jolie musique pour son adaptation en film (mais j'ai jamais vu le film pour autant 😅)
RépondreSupprimer@Vert: Merci pour l'info 😊 Ça fait un bon argument en faveur du film!
SupprimerJe comprends tout à fait pour le rythme de lecture, c'est un peu pénible d'avoir le sentiment de passer à côté de ce qu'on lit juste parce que la lecture est trop hachée et étalée...
RépondreSupprimerC'est courageux de regarder sa vie en face comme tu le fais. J'aurais tout de même tendance à penser que c'est principalement ton toi pessimiste qui s'exprime là, et que tu as sans nul doute accompli des choses pas si nazes dont tu es fière et satisfaite, même si ce n'est pas du niveau de l'écriture d'un roman de fantasy romantique sur une relation fusionnelle avec une licorne 😁 c'était pas ça ? 😅
@Ksidra: Mon moi pessimiste, sans doute. Mon moi naïf qui ne s'en remet pas, aussi, parce que tout le monde n'est pas Tolkien, en vrai. Je connais des tas de gens que j'admire, mais pas tant que ça qui ont franchement accompli des trucs de ouf...
Supprimer"roman de fantasy romantique sur une relation fusionnelle avec une licorne" --> Tu tiens un truc!!!!