jeudi 23 novembre 2023

Roman américain (2014)

Il y a quelque temps, TmbM a chroniqué Ada d'Antoine Bello, un livre que j'ai adoré. Il l'a fait avec nettement moins d'enthousiasme que moi, pour être tout à fait transparente. Néanmoins, son billet m'a donné envie de continuer avec cet auteur (comme je l'avais dit à l'époque, il y seulement six ans, tralala). Et comme TmbM recommande Roman américain, que je manque d'argent en ce moment, que je redécouvre par conséquent les vertus des médiathèques et que ma médiathèque a Roman américain dans son catalogue, j'ai commencé par là.

Roman américain se compose de six parties, qui s'ouvrent toutes par un article de Vlad Eisinger dans The Wall Street Tribune, dans lequel le journaliste analyse le phénomène du life settlement, c'est-à-dire la revente de polices d'assurance-vie.

Avant tout, une précision: l'assurance-vie (life insurance) dont on parle ici n'est pas un compte en actions sur lequel vous placez de l'argent, qui (normalement) augmente au fil du temps et que vous pouvez soit débloquer pour récupérer votre mise et ses gains, soit laisser en place pour qu'un bénéficiaire empoche la somme lors de votre mort. Ici, vous payez une prime tous les mois en fonction de la somme que vous voulez que vos bénéficiaires touchent. Par exemple, pour qu'ils aient droit à un million d'euros, vous devrez payer plus cher, de votre vivant, que si vous voulez qu'ils touchent 500 000 euros. Bien sûr, votre état de santé et votre espérance de vie jouent un rôle majeur dans le calcul de vos paiements; vous pairez plus si vous êtes vieux et malade que si vous êtes jeune et en bonne santé.

Aux États-Unis, on peut revendre ce genre de police. C'est tout à fait fascinant. Vous avez besoin d'argent tout de suite? Un acheteur vous verse une partie du capital-décès tout de suite et prend en charge le paiement des primes jusqu'à votre mort. Mais quand vous mourrez, c'est lui qui empochera l'argent. Vous avez de l'argent en main tout de suite, et il a la perspective d'empocher davantage, plus tard.

Apparemment, c'est très lucratif, et il y a même des magouilles pour contourner la période d'incessibilité de deux ans en vigueur dans pas mal d'États des États-Unis. 👀 Il y a aussi eu une vague de cessions de polices de ce type par des malades du SIDA pendant les années quatre-vingt...

Donc. Au début de chaque partie, le journaliste Vlad Eisinger nous parle de cette pratique dans un article. Puis on lit ses échanges de mail avec son ancien camarade d'université Daniel Gsiver et des extraits du journal de celui-ci. Dan vit dans un lotissement de Floride dont de nombreux habitants vivent du marché des polices d'assurance-vie, donc les articles de Vlad remuent la communauté de fond en comble. On y découvre le revenu des uns, les combines des autres, le cynisme d'autres encore. Il y a beaucoup de personnages et j'ai eu du mal à tous les retenir, mais ils sont croqués avec une acidité jubilatoire. La plupart sont des gros cyniques, mais ils ont tous une vraie vie, un vrai relief.

J'ai tout simplement adoré ce roman. J'y ai retrouvé ce que j'avais adoré dans Ada, l'impression d'avoir affaire à un vulgarisateur de talent, qui me donne à comprendre des notions complexes sans que je n'aie à faire le moindre effort. Je vous jure que j'ai tout compris aux articles sur le life settlement et que c'est à peine si j'ai dû relire deux paragraphes pour bien cerner une information, alors que je suis, dans la vraie vie, au niveau zéro de la compréhension de la moindre notion économique ou financière. En parallèle, Vlad et Dan discutent de littérature et de style, le deuxième critiquant les articles du premier et certaines facilités de style ou de construction, ce qui me plaît évidemment beaucoup, et ils s'envoient des anagrammes de noms d'écrivains célèbres. Enfin, le journal de Dan est tout simplement drôle. Le gars est totalement désabusé face à ce qu'il voit. Et il a un projet de falsification d'une page Wikipédia qui interroge la notion même de vérité, ce que je trouve assez vertigineux.

Bref, une réussite. J'espère bien ne pas mettre sept ans à lire un autre roman du monsieur!

Allez donc voir ailleurs si ce roman y est!
L'avis de Baroona
L'avis de TmbM

10 commentaires:

  1. C'est marrant - et un peu étonnant - tu parles bien plus de la partie économique que de la partie littéraire, à l'inverse de TmbM. J'avoue que ça m'en donne une image un peu plus tentante. En tout cas ça fait deux avis très positifs, à mon tour d'aller regarder si ma médiathèque l'a.

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    1. @Baroona: Je me suis fait la même réflexion en lisant son billet, hihi! Mais j'ai adoré la partie littéraire aussi, hein. Disons que les considérations théoriques sur le roman américain m'ont moins étonnée que de découvrir qu'on peut revendre une police d'assurance... 😄
      J'espère que tu trouveras et apprécieras ce roman!

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  2. Incroyable ce livre, le genre de sujet que tu vois pas abordé dans un roman passionnant. Je ne connaissais pas du tout cet auteur par ailleurs.

    Dans le genre truc un peu chelou en mode pari sur la vie des gens, j'ai toujours trouvé particulier la vente d'appartement en viager ou en gros tu fais le pari que la personne a qui tu achètes l'appart va mourir vite, parce que sinon ça casque (quand tu vois les rentes demandées dans les annonces immobilières).

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    1. @Tigger Lilly: Mais ouiiiiiiii, c'est tout à fait ça, cette comparaison avec le viager! La rentabilité de ton investissement dépend de la rapidité de la mort de la personne... C'est fou!
      (Ce qui est drôle dans celui-ci, c'est quand un malade du SIDA vend sa police car on ne lui donne que quelques mois, et finalement il participe à un essai médical et est encore là vingt ans plus tard. 🤣)

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  3. Je suis content que tu aies aimé ce livre. Maintenant, je ne peux que te recommander de pousser l'expérience un peu plus loin avec l'excellent "Du rififi à Wall Street" de Vald Eisinger (pseudo de Bello emprunté au protagoniste de "Roman américain" le temps d'un livre) !

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    1. @TmbM: Hélas, ma médiathèque n'a pas Du rififi à Wall Street. Plus précisément, aucune des sept ou huit médiathèques du réseau ne l'a! Du coup, je l'ai noté dans ma liste d'envies.

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  4. Le sujet a l'air intéressant mais bizarre aussi. Le côté économie, pas sûr du tout que ça me parle !

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    1. @Shaya: C'est ce que je trouve si brillant chez cet écrivain, il rend ça lisible! 🤩

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  5. Intéressant, j'en ai acheté un du même auteur pour le boulot (Les falsificateurs je crois)

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    1. @Vert: Trop bien! Un bon achat pour tes usagers!! 👌👌

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