Voici une découverte de boîte à livres amusante. Au sortir d'un brunch un peu copieux avec des amies qui se reconnaîtront, je tombe sur Le Roman de la Momie de Théophile Gautier, que je n'ai jamais lu.
Il s'avère que le livre a été à l'origine "Offert par Total". Dans quel contexte? Je pense aux opérations promotionnelles estivales, du genre "un cadeau à partir de X euros dépensés", mais je ne sais pas. Il s'avère aussi que le livre a vécu dans un CDI, plus précisément celui du collège Baudricourt à Paris. Comment est-il passé de la station service au collège? A-t-il été inséré dans le fonds par le/la bibliothécaire? Ou par un élève ou un parent d'élève qui en aurait fait don parce qu'il n'en avait pas/plus l'utilité?
Mystère.
Dernière anecdote: après avoir lu le prologue, qui ne se passe pas du tout à l'époque de la momie mais au XIXe siècle, je suis allée vérifier dans mon carnet de lectures et j'ai découvert que, en fait, j'ai déjà lu ce roman il y a dix ans. Lol.
Bon, passons au concret. Le Roman de la Momie se découpe en trois parties. Tout d'abord, le prologue en question, qui raconte comment le jeune et riche lord anglais Evandale et le gros égyptologue allemand Rumphius découvrent, grâce au Grec Argyropoulos, un tombeau égyptien spectaculaire et inviolé d'une richesse inouïe, au fond duquel attend une momie.
"Au delà du passage, la vallée, s'élargissant un peu, présentait le spectacle de la plus morne désolation.
De chaque côté s'élevaient en pentes escarpées des masses énormes de roches calcaires, rugueuses, lépreuses, effritées, fendillées, pulvérulentes, en pleine décomposition sous l'implacable soleil. Ces roches ressemblaient à des ossements de mort calcinés au bûcher, bâillaient l'ennui de l'éternité par leurs lézardes profondes, et imploraient par leurs mille gerçures la goutte d'eau qui ne tombe jamais. Leurs parois montaient presque verticalement à une grande hauteur et déchiraient leurs crêtes irrégulières d'un blanc grisâtre sur un fond de ciel indigo presque noir, comme les créneaux ébréchés d'une gigantesque forteresse en ruine."
Ladite momie est – stupéfaction! – celle d'une femme, et elle a été enterrée avec le récit de sa vie à la main. On passe alors à la traduction de ce document millénaire, le roman à proprement parler...
Au bord du Nil, la riche, belle et jeune Tahoser se languit d'amour pour un jeune homme qui ne la connaît même pas, Poëri, à tel point qu'elle fuit de chez elle, plantant là son palais et son luxe, pour se présenter chez lui en mendiante. La pauvre Tahoser ne sait pas, hélas, que Pharaon l'a aperçue lorsqu'il revenait victorieux en ville, à la tête d'un interminable défilé d'esclaves et de soldats, et a été pris du désir de la posséder. Ces événements, qui constituent un peu plus de la moitié de l'intrigue, ont été mes préférés. Le rythme n'est pas palpitant, et il y a des descriptions INTERMINABLES d'objets et d'éléments architecturaux; mais premièrement, c'est merveilleusement bien écrit (le XIXe, sérieux!) et deuxièmement, c'est une vision tellement magique de l'Égypte au fâite de sa puissance que ça fait juste rêver. Imaginez que les sandales et les tables de Pharaon représentent ses ennemis vaincus, les coudes liés dans le dos. Imaginez l'égo qu'on doit avoir en vivant dans un tel décor. C'est absolument fantastique.
(Nouvel objectif de vie: vaincre mes ennemis et me faire faire des sandales à leur effigie, pliés sous le joug de ma domination.)
Ensuite, l'histoire m'a un peu moins plu, car Poëri s'avère être un juif et qu'un certain Moshé, membre estimé de cette communauté, entre en scène pour guérir Tahoser malade. Vous l'aurez compris, il s'agit de Moïse, et l'histoire est donc connue: demandes répétées de laisser le peuple hébreu partir, refus de Pharaon, plaies d'Égypte, jusqu'à la fameuse traversée de la mer Rouge qui clot le roman. Évidemment, la langue reste spectaculaire, et les duels magiques avec les nombreux magiciens de Pharaon sont très sympathiques, mais j'ai été un peu déçue de retomber ainsi sur le mythe biblique. J'aurais préféré (re)découvrir une nouvelle histoire. Et bien sûr, Gautier implique quand même fortement que l'Éternel des Hébreux est plus puissant que les dieux égyptiens, donc, bon.
À part cette petite déception, ç'a été une bien belle lecture, un régal littéraire et une aventure tellement surannée qu'elle devient une vraie gourmandise. Sans surprise, la vision des femmes est assez stéréotypée et on n'arrête pas de parler de leurs formes enchanteresses, mais Tahoser est quand même du genre à traverser le Nil à la nage pour prendre en filature l'homme qu'elle aime, donc, bon, ce n'est pas non plus une petite nature. Il y a aussi des considérations raciales bien datées, avec le type égyptien qui est supérieur au type nègre, mais évidemment inférieur au type hébreu; et plus une femme a la peau pâle, plus elle est belle!
"Tahoser, il faut le dire, ne pensait guère à Nofré, sa suivante favorite, ni à l'inquiétude que devait causer son absence. Cette chère maîtresse avait tout à fait oublié sa belle maison de Thèbes, ses serviteurs et ses parures, chose bien difficile et bien incroyable pour une femme.
La fille de Pétamounoph ne se doutait aucunement de l'amour du Pharaon ; elle n'avait pas remarqué l'oeillade chargée de volupté tombée sur elle du haut de cette majesté que rien sur terre ne pouvait émouvoir : l'eût-elle vue, elle eût déposé ce désir royal en offrande, avec toutes les fleurs de son âme, aux pieds de Poëri."
Décidément, Théophile Gautier me plaît beaucoup, et je regrette de ne pas avoir lu plus de ses œuvres à l'adolescence.
Autres livres de l'auteur déjà chroniqués sur ce blog
La Morte amoureuse (1836) + Une Nuit de Cléopâtre (1838)
Récits fantastiques (1831-1857)
Pas lu ce roman-ci de Théophile Gautier mais il a l'air bien chouette malgré son côté daté. Ca n'est pas un peu trop nian-nian tout de même cette histoire ?
RépondreSupprimer@Shaya: Non, je n'ai pas trouvé ça trop nian-nian. D'ailleurs, l'histoire d'amour finit mal pour la protagoniste, car l'homme de ses rêves est en fait déjà amoureux d'une autre femme, une Hébraïque comme lui. (Sérieux, je suis allée demander au Larousse quel est le féminin de "un Hébreux", mais ça me paraît fort bizarre de dire "une Hébraïque. 😱)
Supprimer"je suis allée vérifier dans mon carnet de lectures" : Parce que le prologue te disait quelque chose ? Il y a d'autres passages dont tu te souvenais finalement ou c'était une totale (re)découverte ?
RépondreSupprimerJe ne ferai aucun commentaire sur ton nouvel objectif de vie, mais j'ai une autre question : tu penses que ça va plaire à ta belle-mère ?
@Baroona: Oui tout à fait, je suis allée vérifier parce que le fait que le prologue se passe à l'époque moderne m'a surprise dans un premier temps, puis m'a semblé familier. Et non, je n'avais AUCUN souvenir de la suite, et j'ai donc tout redécouvert, y compris le fait que ça rejoint l'histoire de Moïse – j'aurais pu me souvenir au moins de ça en le relisant, mais non, rien. Ma mémoire m'épate.
SupprimerExcellente question concernant ma belle-mère, il faudrait que je pense à diriger la conversation vers Théophile Gautier une prochaine fois.
Oh je suis un peu déçue, dans mon imaginaire "le roman de la momie" était plutôt du genre fantastique, alors que ce soit une histoire damour qui rejoigne le mythe biblique... bon 😐 Merci pour la découverte 😅
RépondreSupprimer@Ksidra: Je crois que j'avais un peu la même idée, sans doute parce que Théophile Gautier a écrit pas mal de fantastique et que la momie est un classique de film d'horreur!
SupprimerMa fois étonnant tout ça. Enfin sauf l'histoire avec le brunch, ça me dit quelque chose 🤔
RépondreSupprimer@Tigger Lilly: Hihihihi!
SupprimerJ'adore ce genre de livre qui a une histoire.
RépondreSupprimerEt sinon en bonne fan de l'Egypte ancienne j'ai essayé de le lire à l'adolescence mais le prologue qui se passait au XIXe m'a beaucoup déçue, et je crois que j'ai trouvé ça chiant à mourir toutes ces descriptions donc j'ai jeté l'éponge 🤣
@Vert: J'ai été super déçue aussi 😅 J'adore le XIXe, mais je m'attendais à être directement dans l'Égypte antique, alors ça déroute!!
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