samedi 14 septembre 2024

La Force de l'âge (1960)

Après Mémoires d'une jeune fille rangée, j'avais très très envie de poursuivre ma lecture des mémoires de Simone de Beauvoir, et j'ai profité d'une période de vacances assez calme pour emprunter le deuxième volume, La Force de l'âge. L'édition Folio fait 786 pages avec très peu d'espaces dus aux retours à la ligne ou aux changements de paragraphe, et il faut donc prévoir du temps pour s'y attaquer.

"Vingt et un ans et l’agrégation de philosophie en 1929. La rencontre de Jean-Paul Sartre. Ce sont les années décisives pour Simone de Beauvoir. Celles ou s’accomplit sa vocation d’écrivain, si longtemps rêvée. Dix ans passés à enseigner, à écrire, à voyager sac au dos, à nouer des amitiés, à se passionner pour des idées nouvelles. La force de l’âge est pleinement atteinte quand la guerre éclate, en 1939, mettant fin brutalement à dix années de vie merveilleusement libre."
La quatrième de couverture résume parfaitement la première partie du livre. De 1929 à 1939, de Beauvoir enseigne la philosophie dans différents lycées pour jeunes filles et consacre l'intégralité de son temps libre à Jean-Paul Sartre, la lecture, l'écriture et la marche. C'est absolument enthousiasmant. J'ai eu l'impression d'une personne qui croquait la vie à pleines dents, abattait une quantité de travail phénoménale, lisait TOUT, explorait l'Europe à un rythme de marche ahurissant, sans jamais hésiter. En réalité, de Beauvoir s'est aussi posé beaucoup de questions, notamment sur la société et sur ses futurs romans, et elle en parle longuement, mais cela ne ralentit aucunement L'ÉLAN qui se dégage de son récit. Son sac et quelques affaires sur le dos, elle a parcouru la France entière, l'Italie, la Grèce, l'Espagne, l'Allemagne avec peu de sous mais une détermination à toute épreuve, généralement en compagnie de Sartre, mais parfois seule et parfois avec des amis. Même quand elle arpente Rouen, où elle a enseigné et qu'elle décrit, somme toute, comme une ville de province endormie, on a l'impression qu'elle explore un lieu extraordinaire et le voit d'un œil plus acéré que le commun des mortels.
"Un jour, au premier étage du Flore, Sartre demanda à Queneau qu’est-ce qui lui restait du surréalisme : « L’impression d’avoir eu une jeunesse », nous dit-il. Sa réponse nous frappa, et nous l’enviâmes."
C'est un peu ce que j'ai ressenti en lisant ces mémoires: l'impression que de Beauvoir a eu une jeunesse qui, chez moi, ne s'est jamais manifestée.

Le tout en refaisant le monde dans l'attente de la révolution socialiste destinée à balayer la société petite-bourgeoise. Sur ce dernier point, de Beauvoir est très transparente, car elle n'était pas 100 % à l'aise avec sa propre condition de petite-bourgeoise: issue d'une famille originellement aisée, elle a pu faire des études et avait un revenu assuré en travaillant pour l'Université, et elle était donc loin de la condition ouvrière; elle contournait la chose par une sorte de pirouette, du type "je suis dans le système mais je n'en fais pas vraiment partie", et cela a quelque chose de rassurant de voir que même un grand esprit est en fait un humain avec ses contradictions.

Ces années sont bien sûr celles de la montée du fascisme dans toute l'Europe, et tant de Beauvoir que Sartre ont fait preuve d'un bel aveuglément, croyant à chaque étape que ce n'était qu'une situation mineure destinée à se résoudre facilement: le parti nazi ne tiendra jamais, Hitler ne restera pas longtemps au pouvoir, le soulèvement de Franco contre la République espagnole sera vite réglé... Et elle en parle avec une honnêteté que je trouve admirable. Pages terribles sur la guerre d'Espagne et la destruction du Frente Popular, en partie à cause de l'inaction de la gauche française. Au contraire, pages exaltantes sur la victoire du Front Populaire français, la semaine de quarante heures, la condition ouvrière qui change pour de vrai!

Ces années-là sont aussi celles des amitiés fusionnelles et des fameux ménages à trois, que de Beauvoir peint comme un peu schyzophrènes, très franchement. En même temps, les trois quarts des personnages sont des originaux et/ou des phénomènes, alors on imagine bien que les relations amicales et amoureuses entre eux sont spéciales. Wikipédia m'informe qu'elle a depuis été accusée de fournir des jeunes femmes à Sartre, mais rien ici ne permet de le soupçonner... (Et en même temps, elle ne l'aurait pas dit si cela avait été le cas, bien sûr.) Quant à la relation avec Sartre, elle est tout à fait unique et irremplaçable, et de Beauvoir semble tout à fait sincère quand elle dit qu'elle n'a jamais été jalouse de ses autres relations car elle savait que la leur était au-dessus de tout.

Ayant pris de la mescaline, Sartre s'est cru poursuivi, durant des années, par des crustacés. C'est tout à fait dingue. De Beauvoir raconte que ça lui a bien pourri une année scolaire. Puis il s'est remis. Mais cela donne des passages très drôles.
"Nous nous arretâmes encore quelques jours à Rome. Assez brusquement, l'humeur de Sartre changea; le voyage s'achevait et il retrouvait ses soucis: la situation politique, ses rapports avec Olga. J'eus peur. Est-ce que les langoustes allaient ressusciter? [...] Alors, nous allâmes prendre une chambre, et dormir. Sartre me dit plus tard que tout au long de cette nuit une langouste l'avait suivi."
Je... Les mots me manquent. Qui l'aurait cru?

Simone Weil est aussi citée, mais de très loin, car ils ne fréquentaient pas les mêmes cercles, tous les trois. Chez Gallimard, Sartre décrit, dans une lettre que de Beauvoir reproduit, qu'il est tombé sur Jules Romains, l'auteur de la saga des Hommes de bonne volonté que j'ai entrepris de lire. Ça m'a fait plaisir de voir que ces gens-là connaissaient cet auteur tombé dans l'oubli. Dans la deuxième partie, entre en scène un jeune auteur que de Beauvoir et Sartre ont tout de suite remarqué: un certain Albert Camus. Hystérie de ma part, moi qui ai été tant marquée par La Peste.

Cette deuxième partie, justement, m'a encore plus plu que la première, car elle est le récit de la guerre. D'abord, le journal que de Beauvoir tenait à l'époque, de septembre 1939 à septembre 1940: la sidération de la déclaration de guerre, l'angoisse des débuts, les mois d'incertitude durant lesquels il ne se passait rien, puis le désastre de juin 1940, l'angoisse d'être sans nouvelles de Sartre qui avait été mobilisé, l'exode en direction d'Angers, le retour dans une Paris occupée. Puis quatre ans d'occupation, les intellectuels du café de Flore, l'écriture de son premier roman, la nourriture qui prend une place prépondérante en raison de sa rareté, les tentatives de participer à la Résistance en tant qu'intellectuels, la peur pour les amis juifs, les nouvelles affreuses concernant tel ou tel ami ou connaissance tué au combat, fusillé ou disparu dans un train en direction de l'Est. Et enfin, le retour de l'espoir, de la certitude qu'il y aura un après. Sartre et de Beauvoir n'ont pas eu la guerre la plus affreuse de tous, vu qu'ils n'ont été ni emprisonnés ni blessés ni déportés (ils ont même pu partir en vacances en vélo et passer sans trop de difficultés en zone libre!!), mais on sent toute l'angoisse de cette période d'impuissance et d'horreur pour le régime vichissois.

Non contente de saisir avec acuité le monde qui l'entoure, de manier des notions de philosophie subtiles (d'ailleurs, je n'ai pas vraiment compris ce qu'elle raconte au sujet des personnages de ses romans, mais cela est sans doute partiellement dû au fait que je n'en ai lu aucun), de s'auto-étudier avec une grande finesse, de Beauvoir est aussi capable de dire "sur ce point, j'ai changé d'avis" ou "sur ce point, je me suis trompée", ce que je trouve admirable. Le troisième tome de ses mémoires, La Force des choses, est disponible en deux tomes, pour un total de 900 pages. J'espère avoir un créneau pour le lire durant la première moitié de 2025.

lundi 9 septembre 2024

Éros de Paris (1932)

Chronique express!

Éros de Paris est le quatrième tome de la grande fresque des Hommes de bonne volonté de Jules Romains. Je l'ai lu très vite après le troisième tome, car je voulais profiter d'avoir un peu de temps libre en vacances. Même si chaque roman ne compte que 150 pages environ, il s'agit de pages grand format dans une police relativement petite, ce qui demande du temps. En outre, je me concentre pour essayer de bien saisir les tenants et les aboutissants des différentes intrigues, et mes innombrables retours en arrière et consultations des résumés rallongent le temps de lecture d'au moins 15%. 😅 Bref, je ne voulais pas laisser passer un créneau adapté!! Ce quatrième tome est dans la droite ligne des précédents et son titre le résume parfaitement: ce sont des histoires d'amour et des pensées sur l'amour en plein Paris. Jerphalion qui se désole de n'avoir personne, Jallez qui repense à son deuxième amour de jeunesse, Sammécaud qui essaye de faire céder sa maîtresse. J'ai adoré. Un peu moins que les précédents peut-être, car tous ces gens sont des hommes peu respectueux des femmes. Mais il n'y a pas que ça: déjà, il y a le chien Macaire qui se balade durant un chapitre qui lui est entièrement dédié; puis des socialistes qui préparent la révolution; puis l'infâme relieur qui est suffisamment en retrait pour que mon antipathie pour lui ne prenne pas le dessus; et puis on sait, enfin, pourquoi la femme aux yeux tristes est si triste. Quel livre a-t-elle fait relier dans le premier roman, toutefois? Il faudra encore attendre pour le savoir.

Le spectre de la guerre européenne est très présent, et je crains pour nombre de ces personnages. Mais l'auteur a pris quatre romans pour nous mener d'octobre à décembre 1908, et Wikipédia m'informe que l'année 1914, synonyme de catastrophe, n'arrivera pas avant le tome 14!! J'ai donc encore dix bouquins devant moi avant que la grande vague de l'horreur militaire ne fauche la jeunesse européenne. Joie, bonheur!

Le petit truc en plus que je ne veux pas oublier: au chapitre XXII (et peut-être à un autre endroit que je n'ai pas noté et que je ne retrouve donc pas), Jallez aperçoit Jules Romains, c'est-à-dire l'auteur de ce roman. 😂

mercredi 4 septembre 2024

La gamelle d'août 2024

Comme d'habitude, retour sur la vie culturelle du mois écoulé!

Sur petit écran

Quelques vidéos YouTube, le plaisir des périodes de vacances scolaires.

Sur grand écran


Edge of Tomorrow de Doug Liman (2014)

Un film de boucle temporelle que j'adore et qui vieillit très bien, avec un super rôle pour Emily Blunt et un Tom Cruise en forme. La fin a de gros problèmes, mais ne gâche pas l'ensemble pour autant. Il fallait bien toute la puissance de Tom-Tom pour m'attirer au cinéma en cette période d'hibernation. 🖤
(Le soir même de ma séance, Tom Cruise débarquait au Stade de France pour récupérer le drapeau olympique. CET HOMME.)

Borderlands de Eli Roth (2024)

Malgré une fin naze, j'ai passé un bon moment devant ce film de SF sans grandes prétentions. L'univers est très chouette et Cate Blanchett est exceptionnelle, comme d'habitude. Quel charisme!!

Seven de David Fincher (1995)

Un excellent film avec un duo d'acteurs de haut vol – Brad Pitt et Morgan Freeman au top du top –, une réalisation impeccable, une intrigue prenante, une musique mégasinistre qui fait beaucoup pour l'ambiance. Et une insomnie dans la nuit qui a suivi, bien sûr. Comment peut-on dormir après avoir vu Seven? 😂

Dû côté des séries

Riiieeeeeeeen.

Et le reste

J'ai lu Translittérature, la merveilleuse revue de l'Association des traducteurs littéraires de France. 🖤 Et c'est tout. Vendredi 30 août, Cheval Magazine n'était toujours pas arrivé et j'ai donc dû partir en vacances sans! 😱😱😱