lundi 13 octobre 2025

Écoutez nos défaites (2016)

Aujourd'hui, je vous parle d'un nouveau roman de Laurent Gaudé, auteur que j'ai découvert avec plaisir il y a dix ans, puis laissé de côté et redécouvert l'année dernière. Un grand merci à la consœur qui me l'a prêté après que nous avons vu son tout dernier opus dans la vitrine d'une librairie! 😊

Écoutez nos défaites est un roman polyphonique. À notre époque, il donne la parole à trois personnages: un agent des services secrets français, une archéologue irakienne et un homme dont je pense qu'il vaut mieux ne pas dévoiler l'identité. Dans le passé, il donne la parole à plusieurs grands combattants ou conquérants: Hannibal, Ulysses S. Grant et Hailé Sélassié (le dernier empereur d'Éthiopie – je le précise pour ceux qui, comme moi, n'ont aucune notion d'histoire africaine).

Ce qui les lie, tous: la violence. Soit la violence des missions des services secrets, soit celle des extrémistes en noir qui pillent les sites archéologiques, soit celle des batailles de grande ampleur, entre pays ou empires.

Évacuons tout de suite le souci stylistique qui a un peu terni ma lecture. De manière générale, chaque passage consacré à un personnage se termine sur quelques lignes en crescendo, avec une accélération du rythme et une sorte de souffle de désespoir, par exemple parce que le personnage s'apprête à plonger dans l'horreur du combat ou prend conscience de l'étendue du désastre. C'est très efficace et bien maîtrisé. Sauf que les différentes prises de parole sont assez courtes, de une à trois pages maximum. Du coup, le procédé revient très souvent. Et cela le vide pas mal de sa substance ou du moins de son efficacité. 🫤

Ce problème mis à part, la lecture est passionnante. En partie parce qu'on veut savoir comment va se dérouler la mission dont est chargé l'agent des services secrets français. En partie parce que le récit nous plonge dans des combats à grande échelle, où l'on retient son souffle. En partie parce qu'il m'a, personnellement, fait découvrir pas mal de choses sur la Guerre de Sécession aux États-Unis, la campagne d'Hannibal en Europe et surtout la vie de Hailé Sélassié, qui a essayé de résister à l'envahisseur italien à partir de 1935, a dû s'exiler mais a pu retrouver son trône en 1941.

Bien sûr, comme on parle d'un roman de Laurent Gaudé et que cet écrivain s'intéresse très clairement aux dynamiques de domination à l'œuvre dans le monde et à tout ce que l'humain fait de pire, l'ensemble n'est pas gai. Du sang, des massacres, des hommes qui meurent dans le sable, des hommes qui meurent de faim, des hommes qu'on traque, des alliés qui vous lâchent, des éléphants qui deviennent fous de peur et de douleur, Daesh qui détruit les vestiges antiques, des traumas dont on ne revient jamais – c'est un texte qui crie quelque chose sur l'état du monde, l'éternel recommencement de la violence et la défaite ultime de tout ceci. Même quand on gagne, on a déjà perdu, [divulgâcheur] à l'image d'Agamemnon, qui est prêt à sacrifier sa fille aux dieux pour que ceux-ci envoient le vent qui lui permettra de voguer jusqu'à Troie: même s'il remporte la victoire sur Troie, il a perdu [fin du divulgâcheur].

C'est cela qui donne tout son sens au titre, Écoutez nos défaites. Et pourtant, le roman se termine sur une scène d'apaisement... ☀️

Quand on a déjà lu La Mort du roi Tsongor, avec son siège épique et sanglant, ou Eldorado, avec son récit à deux voix, on ne peut s'empêcher de penser que ce roman s'insère parfaitement dans la production de Laurent Gaudé. Il a vraiment saisi quelque chose et sait l'exprimer avec ses tripes. C'est un écrivain engagé, comme on dit.

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