Une vision intéressante de la figure de l'interprète au camp de concentration de Gandersheim, en Allemagne.
"Être interprète, c'était évidemment la planque, parce qu'on ne travaillait pas. Mais il y avait deux manières d'êtres interprète. Pour Lucien, ça consistait à traduire les ordres des SS et des kapos, mais en les prenant progressivement à son propre compte. Lucien n'était pas seulement celui qui répétait en langue française ce que les autres disaient en allemand; il était devenu avec habileté l'auxiliaire de langue française de ceux qui commandaient dans la langue allemande. Il ne fut que l'interprète des kapos et des SS, jamais celui des détenus. D'où les gamelles, le trafic, la fraternisation avec Fritz, l'estime du blockführer SS.
Gilbert, à l'usine comme à l'église, fut l'interprète des détenus, c'est-à-dire qu'il ne se servit de la langue allemande que pour tenter de neutraliser les SS, les kapos, les meister. Il fut assez habile d'ailleurs pour régler pas mal de conflits entre nous et les meister et assez courageux pour justifier ou excuser certains camarades devant les SS. Il remplissait son rôle de détenu politique, il prévenait, il couvrait les copains, il leur servait de rempart. Alors, être interprète n'était plus simplement une planque, c'était aussi un risque supplémentaire. Car en agissant ainsi, Gilbert était devenu l'ennemi des kapos."
Robert Antelme
L'Espèce humaine
(chronique à venir)
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