Hans Rosling était médecin, chercheur et conférencier. Selon
la quatrième de couverture de cet ouvrage publié chez Flammarion, "avec
plus de 35 millions de vues, ses conférences TED l’ont fait entrer dans le
classement du magazine Time des 100 personnes les plus influentes du
monde".
Dans Facfulness, Hans Rosling, assisté par Ola Rosling (son
fils) et Anna Rosling Rönnlund (sa belle-fille), décrit dix instincts qui
contrôlent nos pensées à notre insu, ont tendance à nous faire adopter une
vision du monde déformée et nous empêchent de raisonner clairement ou de mettre
à jour nos connaissances. Des biais, en gros.
Pour chacun de ces instincts, il se base sur une
série de questions qu’il a posées à des tas de gens (14 000 au total, je
crois) pour montrer à quel point les gens se trompent, puis il se base sur des
faits, essentiellement des chiffres et des statistiques, pour expliquer comment
les choses se passent réellement.
Exemple avec la première question:
Dans les pays à faible revenu, combien de petites filles
finissent l’école primaire?
A. 20%
B. 40%
C. 60%
Je ne vous donne pas la bonne réponse, mais je peux vous
dire que le pays qui a le mieux répondu est la Suède, avec………. 11% de bonnes
réponses. La France et l’Espagne sont dernières, avec 4%.
Je ne sais plus ce que j’ai répondu à cette question en
particulier, mais je sais que j’ai donné quatre bonnes réponses sur treize
questions, dont trois bonnes sur les douze premières questions (la dernière est un peu à part, car tout le monde a juste à celle-là). Je fais donc
moins bien que des chimpanzés qui répondraient au hasard et auraient,
statistiquement, une chance sur trois de donner la bonne réponse. 🙈
Mais je fais mieux que de nombreux humains, ce qui a quelque chose de
réconfortant.
Les dix instincts passés en revue sont les suivants:
l’instinct du fossé
l’instinct négatif
l’instinct de la ligne droite
l’instinct de la peur
l’instinct de la taille
l’instinct de la généralisation
l’instinct de la destinée
l’instinct de la perspective unique
l’instinct du blâme
l’instinct de l’urgence
Le premier est mon préféré: c’est notre tendance à
catégoriser le monde en deux entités distinctes séparées par un gouffre
infranchissable. Les riches et les pauvres, par exemple. Ou "nous" et "eux". C’est une vision binaire du monde. C’est tout ce que je
reproche à Twitter. 😈 Pour s’en détacher, Hans Rosling recommande
de toujours s’interroger sur les extrêmes (n’y a-t-il pas des niveaux
intermédiaires? Quels sont-ils?) et applique ses propres dires en
répartissant les pays du monde en quatre catégories de revenu: moins de
deux dollars par jour, moins de huit dollars par jour, moins de trente-deux
dollars par jour et plus de trente-deux dollars par jour, le tout à parité
de pouvoir d’achat. Voilà qui nuance tout de suite la notion de "riches
et pauvres" que nous avons bien en tête. Et la nuance est encore plus
marquée quand il compare certains pays des catégories 1 à 3 au passé de pays de
la catégorie 4. Exemple fictif, car je n’ai malheureusement pas noté la
référence exacte: tel pays de niveau 2, disons un pays d’Afrique sub-saharienne,
en est au niveau où en était la Suède en 1960. Tout à coup, ça a l’air d’un
pays vachement moins arriéré aux yeux de votre dévouée blogueuse traînant une
vision calamiteuse de l’Afrique subsaharienne.
L’instinct négatif est bien connu: c’est notre
tendance à donner la priorité aux nouvelles négatives et à penser que tout va
mal (et, corollaire, à penser que c’était mieux avant, une tendance que j’adore
regarder chez les autres, car je n’en suis pas du tout atteinte). Il permet à
Hans Rosling de faire une distinction certes évidente quand on y pense, mais
néanmoins cruciale, entre "mal" et "mieux". Les choses
peuvent aller mieux tout en continuant d’aller très mal. C’est
d’ailleurs ce qu’il répète sans cesse à propos de ses statistiques: OUI,
il reste trop d’êtres humains qui vivent dans la misère (un milliard de personnes au niveau 1), et c’est une mauvaise
chose. Mais OUI, en même temps, les êtres humains qui vivent dans la misère
sont beaucoup moins nombreux qu’il y a cinquante ou cent ans, et ça c’est
vachement mieux. Les stats de l’ONU sont édifiantes
quant aux progrès de l’humanité, c’est stupéfiant combien le monde a changé
radicalement depuis le XIXe siècle. Et j’ai été stupéfiée alors que je suis
super optimiste sur ce point, étant convaincue depuis des lustres que
l’humanité est engagée sur un chemin certes très et trop long, mais néanmoins
tourné vers le progrès.
Je ne vais pas aborder les dix instincts un par un, mais
c’est vraiment passionnant à lire, et ça donne à réfléchir sur soi. L’instinct
de la ligne droite, par exemple, je n’avais aucune idée de ce que c’était et je
l’ai suivi comme une débile plus d’une fois dans ma vie. Dans d’autres cas, ça
m’a donné des outils pour mieux exprimer certaines choses que j’ai toujours eu
du mal à formuler.
Ce livre donne aussi à réfléchir sur combien certaines des
données que nous croyons détenir sont dépassées. Sous certains aspects, ma
vision du monde date des années soixante-dix, c’est consternant. Tous les pays
évoluent rapidement, mais ceux des niveaux de revenu 1 à 3 évoluent beaucoup
plus rapidement que ceux du niveau 4 et ça fait longtemps qu’ils n’abritent
plus une masse uniforme de miséreux. Cela m’a d’ailleurs donné la migraine
quand j’ai pensé à tous ces gens qui font progresser tout à fait légitimement
leur niveau de vie et se dirigent vers une société aussi consumériste que celle
des pays de niveau 4 – et comme personne ne change de mode de vie nulle part,
nous serons de plus en plus de milliards à adopter un mode de vie insoutenable,
c’est génial! Bon, je sais maintenant que cette vision est un mélange d’instinct négatif,
d’instinct de la ligne droite et d’instinct de la peur, mais quand même,
l’augmentation de la population mondiale devrait tous nous inciter à changer
radicalement de mode de vie et à foutre la pression aux gouvernements en ce
sens. Soutenez Greenpeace. 💪
Pour la petite blague, Hans Rosling recense cinq risques
qu’il faut vraiment prendre au sérieux, même sans instinct négatif, et il y a
dans la liste… une pandémie mondiale. Le livre est paru en 2018. Lol.
Toutes ces données sont distillées avec beaucoup de clarté,
des exemples issus de l’expérience de l’auteur et un peu d’humour. Je ne sais
pas du tout comment écrit Hans Rosling en anglais avec l’aide de son fils et sa
belle-fille, mais en tout cas la traduction française de Pierre Vesperini se
lit toute seule et allie précision et nuances, à l’image du propos de
l’ouvrage.
Bref. Soutenez Greenpeace, je le répète. Et lisez
Factfulness si vous voulez adopter une vision du monde basée sur les faits
plutôt que pour les instincts. 😉