Emmanuel Carrère est sans conteste mon écrivain français contemporain préféré. (Bon, ok, il est quasiment le seul écrivain français contemporain que j'apprécie, avec Fabrice Humbert, que je n'ai cependant pas lu depuis au moins cinq ans.) Il parle toujours de ses névroses dans ses bouquins et la chose m'éclate énormément. Avec la Classe de neige, toutefois, on est dans la fiction et le roman, pas dans l'autofiction. J'avais déjà lu et apprécié la Moustache (voir ici), mais là... C'est du lourd, mes petits.
Car Nicolas est un peu déphasé, en effet. Un peu timide, un peu à part, un peu isolé. Pas énormément non plus. Et les choses commencent très mal pour lui puisque son père, après l'avoir déposé au chalet où aura lieu la classe de neige, repart en oubliant de lui donner son sac. Nicolas se retrouve sans pyjama, sans brosse à dent, sans tenue de ski, sans slip de rechange. Quand on a neuf ans, c'est dramatique.
Après avoir frappé dans ses mains pour réclamer l'attention, [la maîtresse] annonça sur un ton de plaisanterie que Nicolas, comme toujours dans la lune, avait oublié son sac. Qui voulait lui prêter un pyjama ?
La liste polycopiée prévoyant que chacun en apporte trois, tout le monde était en mesure de consentir ce prêt, mais personne ne se proposa. Sans oser regarder le cercle d'enfants rassemblés autour d'eux, Nicolas [...] entendit des gloussements, puis une phrase dont il n'identifia pas l'auteur, mais que salua un éclat de rire général :
« Il va pisser dedans ! »
Comme le dit la quatrième de couverture, "dès le début de cette histoire, une menace plane sur Nicolas. Nous le sentons, nous le savons, tout comme il le sait, au fond de lui-même il l'a toujours su." Du coup, la lecture est opprimante, la moindre action devient suspecte. Nicolas a peur de beaucoup de choses et elles nous font peur aussi. Le roman fait à peine 145 pages mais il prend aux tripes et tient en haleine.
Carrère est aussi très fort pour décrire les films que se fait Nicolas. Une idée lui vient en tête et aussitôt son imagination déroule un scénario complexe, parfois étalé sur des années, avec les réactions de ses proches. Ça m'a parlé aussi. J'ai 35 ans mais je fais encore ça, comme quand j'avais l'âge de Nicolas.
Et la fin, est-elle à la hauteur de la tension du roman? Oui. Et elle adopte un angle que je n'avais jamais vu traité auparavant et qui m'a fait trembler d'effroi. Je ne vous dis rien, au cas où vous le liriez un jour.
Décidément, Carrère est un génie. Je vais continuer à lire ses bouquins. Il vient d'ailleurs de sortir un bouquin appelé Yoga, que j'achèterai quand il sortira en poche. Le prochain que j'ai en vue: Je suis vivant et vous êtes morts, une biographie de Philip K. Dick.