lundi 30 janvier 2012

Orgueil et préjugés / Death Comes to Pemberley

Il m'aura fallu quatre mois pour mener à bien mon mini-challenge austenien, imaginé lors de l'annonce de la publication du dernier P. D. James, Death Comes to Pemberley.


Jane Austen: Orgueil et préjugés (1813)

Comme toujours, je me suis un peu ennuyée pendant cette lecture. Certes, le monde austenien est fascinant: personne n'a rien d'autre à faire que d'aller prendre le thé chez les voisins, écrire et recevoir des lettres, lire des livres et arranger des mariages plus ou moins hypothétiques. Les hommes ont officiellement un travail, mais ils passent tout de même leur temps à discuter dans le salon et ne s'absentent "for business matters" qu'une fois par mois.

J'adore cette ambiance britannique policée et routinière, où les conversations sont très subtiles et où les conventions font la loi. Cependant, il faut dire qu'il ne se passe un peu rien...

Stylistiquement, je ne trouve pas non plus la plume de Jane Austen exceptionnelle; je lis d'autres auteurs anglophones qui, à mon avis, rendent plus justice à la langue anglaise (pour le XIXe, je pense notamment à Stoker avec Dracula). Le grand intérêt de son écriture réside dans la subtilité des échanges entre les personnages et la légère ironie avec laquelle elle dépeint cette société oisive et ces personnages caricaturaux et hypocrites, notamment à travers leurs lettres (les lettres et les discours de Mr Collins, par exemple, sont vraiment très typés et amusants, tout comme les remarques de Lady Catherine de Bourgh). Je n'irai pas, cependant, jusqu'à parler d'une réelle critique de ce système (mais peut-être que, vivant 200 ans plus tard dans un monde bien différent, je suis trop exigeante), d'autant plus que les "méchants" s'en sortent très bien dans cette histoire: le fait que Mrs Bennet, Lydia et Wickam ne changent pas le moins du monde de comportement et ne prennent même pas conscience de leur ridicule, de leur vulgarité et de leur méchanceté m'a donné la nausée. (Peut-être que je commence à faire partie des gens qui n'ont pas envie de retrouver dans les livres les choses qu'ils rencontrent dans la vraie vie? Car il faut dire que j'en ai croisés, des gens qui continuaient sans sourciller à se comporter de manière odieuse ou ridicule...)

Simon Langton: Orgueil et préjugés (adaptation télévisée de la BBC, 1995)

On ne m'avait dit que du bien de cette mini-série avec Colin Firth et Jennifer Ehle. Et, en effet, j'ai tellement accroché que j'ai regardé les six épisodes de 50 minutes en une fois, de 22h30 à 3h du matin environ. C'est une adaptation extrêmement fidèle et superbement réalisée pendant laquelle on ne s'ennuie pas une seconde. Si je ne pense pas que j'aurai un jour la patience de lire le livre de Jane Austen une troisième fois, je compte bien me procurer les DVDs de cette série!

J'ai été tout particulièrement heureuse de retrouver l'excellent David Bamber, l'ambigu Cicéron de la série Rome (qui, faut-il le rappeler, est la meilleure série jamais réalisée).

 
P. D. James: Death Comes to Pemberley (2011)

Enfin, il y a quelques jours, j'ai eu le plaisir orgasmique de sauter sur le dernier livre de P. D. James, l'auteur britannique qui a fait irruption dans ma vie de lectrice avec Les Fils de l'homme.

Death Comes to Pemberley est un roman policier se déroulant, comme son titre l'indique, à Pemberley, quelques années après le mariage d'Elizabeth et de Darcy. La veille du bal annuel organisé en mémoire de la mère de Darcy, Lydia, l'insupportable sœur de Jane et Elizabeth, arrive à Pemberley en hurlant que le capitaine Denny, un ami de son mari Wickam, a tiré sur ce dernier dans les bois.

Après être partis à la recherche des deux hommes, Darcy, le colonel Fitzwilliam et Henry Alveston --un jeune avocat londonien épris de Georgiana, la jeune sœur de Darcy-- découvrent le corps sans vie du capitaine Denny, auprès duquel Wickam, le visage et les mains couverts de sang, pleure et se désespère en semblant s'accuser de la mort de son seul ami.

Je m'étais demandée comment P. D. James allait mettre en place son enquête. D'habitude, ses romans mettent en scène Adam Dalgliesh, un inspecteur-poète méticuleux et assez taciturne, hanté par la mort de sa femme et de leur enfant. L'enquête progresse au rythme des interviews des suspects, qui ont généralement tous un passé sombre, rempli de secrets qu'ils ne souhaitent absolument pas dévoiler. L'égoïsme, la jalousie et les mauvais sentiments en général font la loi dans un monde clos où personne ne se fait d'illusions et où la mort est présente dans toute son horreur.  (Vous voyez déjà le contraste avec le monde austenien.) Je m'attendais donc à ce qu'un gentleman detective fasse son apparition, ou bien à ce qu'Elizabeth, connue pour son intelligence, mène plus ou moins sa propre enquête avec Darcy.

Mais P. D. James a opté pour une autre solution. Le lecteur a tous les éléments en main et j'avais soupçonné, au cours de mes nombreuses et paranoïaques élucubrations, une partie de la vérité, mais aucun des personnages ne passe son temps à se creuser les méninges pour déterminer si Wickam est, oui ou non, un meurtrier. L'intrigue se résout d'ailleurs d'une manière un petit peu simpliste à la fin, dans un retournement de situation que je n'avais encore jamais rencontré dans les policiers de cette auteure.

Malgré cela, j'ai beaucoup apprécié ma lecture, dans laquelle on retrouve quasiment tous les personnages de l’œuvre de Jane Austen ainsi que de nombreux clins d’œil (je pense notamment à la déclaration de Lady Catherine de Bourgh, qui indique dans une lettre que, si elle avait fait du droit, elle aurait été une excellente avocate, de la même manière qu'elle avait encensé ses prétendues capacités musicales dans Orgueil et préjugés). Les lettres sont ainsi bien présentes et il faut dire que celle de Mr Collins pourrait avoir été écrite par Jane Austen elle-même tellement elle reprend bien le style de ce monsieur. À la fin, j'ai en outre été très heureuse de reconnaître les noms de certains personnages d'Emma --une lecture austenienne que j'ai beaucoup plus appréciée-- cités par Mrs Reynold, l'intendante de Pemberley. P. D. James a déclaré à la presse que Orgueil et préjugés est son livre favori et on sent, en effet, qu'elle le connait sur le bout des doigts.

Un petit avertissement pour les âmes sensibles qui préfèrent les histoires "lisses": comme je m'y attendais, P. D. James a bien ajouté une dose de mauvais sentiments, de doutes, de secrets malsains et de détails sordides dans la vie bien réglée et assez bucolique de ces personnages. Par exemple, l'arrière grand-père de Darcy s'est tiré une balle dans la tête après avoir abrégé les souffrances de son vieux chien, avec lequel il vivait en reclus depuis des années dans une cabane au fond des bois. Le colonel Fitzwilliam, qui est tellement sympathique et séduisant dans l’œuvre de départ, nous est présenté ici comme un suspect potentiel, un homme arrogant qui aime prendre le contrôle des évènements et a clairement quelque chose à cacher. Si vous ne souhaitez pas voir vos personnages préférés entachés de médiocrité et d'égoïsme, mieux vaut passer votre chemin...

Par ailleurs, je continue de recommander chaudement P. D. James. S'il ne s'agit pas ici de sa meilleure enquête policière (d'ailleurs le terme même d'enquête ne me semble pas tout à fait approprié), on retrouve avec plaisir les personnages de Jane Austen et on passe un excellent moment de lecture.

Le roman a été publié en Angleterre en novembre dernier par la maison d'édition Faber and Faber et n'est pas encore disponible en français (laissons un peu de temps à mon confrère ou ma consœur chargé(e) de le traduire). À lire, donc, en VO pour l'instant.

2 commentaires:

  1. Merci pour ce compte-rendu de challenge austinien qui donne très envie de lire le roman de PD James !
    C'est vrai que le style de Jane Austen est moins descriptif et moins riche que celui d'autres auteurs comme Bram Stoker mais en moins de mots, elle arrive à faire vivre tout un monde ! La satire est présente partout, notamment à travers ses personnages caricaturaux. Je trouve que l'ironie est cinglante plutôt que légère. Et si Jane Austen avait puni les méchants tout en continuant à récompenser les bons, son oeuvre aurait peut-être classée dans les contes pour enfants, aux côtés de la comtesse de Ségur (pas sûr que ça soit flatteur...) ?

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  2. C'est vrai, j'en demande trop je crois (et d'habitude ça ne me gêne pas plus que ça que les méchants ne soient pas punis). Est-ce lié que j'avais particulièrement envie d'étrangler Mrs Bennett de mes propres mains...? O_o(Chose qui est déjà une preuve du talent de l'auteur quelque part !)

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