dimanche 2 mai 2021

We Have Always Lived in the Castle (1962)

Après The Turn of the Screw et Rebecca, je me suis penchée sur une troisième histoire de maison et de hantise avec We Have Always Lived in the Castle de Shirley Jackson, une autrice que je souhaite découvrir depuis longtemps et à laquelle je m'attaque enfin sous l'influence du Bifrost n°99, qui lui est consacré.

L'intrigue: Mary Katherine Blackwood vit avec sa sœur Constance et son oncle Julian dans la maison Blackwood. Ils sont les seuls survivants d'un terrible drame: six ans plus tôt, toute leur famille a été empoisonnée à l'arsenic. Constance a été accusée du meurtre, puis acquittée. Depuis, ils mènent tous trois une existence cloîtrée. Seule Mary Katherine, surnommée Merricat, quitte la maison deux fois par semaine afin de faire les courses et de passer à la bibliothèque du village, et ils reçoivent uniquement la visite du médecin et d'une amie ou deux pour le thé.

Bon, alors, ce roman n'est pas franchement facile à chroniquer.

Déjà, il ne se passe quasiment rien, donc on ne peut pas vraiment parler du peu qu'il se passe, de peur de raconter la moitié de l'intrigue. Le résumé ci-dessus correspond aux deux ou trois premiers chapitres.

Ensuite, ce livre est assez particulier, et cela tient au fait que Mary Katherine raconte l'histoire à la première personne et fait une narratrice très particulière. En effet, elle ne raisonne pas du tout comme une personne "normale". Elle fait preuve d'une paranoïa aiguë envers les habitants du village et le monde extérieur et pratique la pensée magique pour se protéger et protéger ses proches. Par exemple, elle enterre ou suspend des objets dans le domaine Blackwood afin d'empêcher les éventuelles intrusions extérieures. Elle parle régulièrement "d'aller sur la Lune" et écoute son chat lui raconter des histoires.

Le ton est donné dès le premier paragraphe, où elle annonce qu'elle aurait pu être un loup-garou, parce que les majeurs de ses deux mains font la même longueur. Je me suis demandée s'il s'agissait d'une référence à une croyance populaire que je ne connaîtrais pas, mais, après plusieurs occurrences du même genre, j'ai compris que c'est sa vision du monde. À l'heure actuelle, j'imagine qu'on lui diagnostiquerait un trouble mental.

En écoutant son récit, le lecteur est amené à adopter son point de vue et c'est brillant. Shirley Jackson fait très, très fort. On est plongé dans cette haine de l'extérieur et cet amour des petits détails et des routines: manger dans la cuisine où Constance prépare des repas succulents, se cacher dans une tanière de feuilles avec le chat Jonas, faire la même chose le même jour toutes les semaines.

En parallèle, Shirley Jackson fait monter le suspense avec brio. Car, bien sûr, un élément perturbateur vient enrayer cette routine pluriannuelle: l'arrivée du cousin Charles. Mais il n'y a pas que ça. Dès le premier chapitre, où Merricat raconte comment elle fait ses courses et comment se comportent les habitants du village, on est écrasés par une atmosphère pesante, qui pousse, en effet, à rechercher le calme et l'immobilité de la maison Blackwood. Autre exemple: la manière dont l'oncle Julian raconte le meurtre de toute la famille à une femme venue prendre le thé. Deux dialogues séparés se recoupent et font formidablement monter le suspense.

Au fond, ce roman parle de la difficulté d'être différents de la norme et de l'interaction difficile entre le foyer, synonyme de sécurité, et l'extérieur, source de dangers. Mais aussi de la méchanceté humaine, par exemple avec [divulgâcheur] une prise de possession bien virilement arrogante de la part du cousin Charles, un petit salaud appâté par les rumeurs sur la fortune des Blackwood, et les comportements odieux des villageois, d'abord par des moqueries puis par le vandalisme perpétré dans la maison ravagée par l'incendie, une vraie attaque de meute portée par la haine de ce qu'elle ne comprend pas et dont elle a peur [fin du divulgâcheur].

Il m'a fallu trois jours pour lire les quarante premières pages car je m'endormais dessus (la faute au manque de sommeil, pas au livre, hein!); le quatrième jour, j'ai lu les cent pages restantes d'une traite et j'ai crié au génie.

Une remarque en passant: [divulgâcheur] We Have Always Lived in the Castle rejoint Jane Eyre de Charlotte Brontë et Rebecca de Daphnée du Maurier dans une belle trilogie de romans sur des maisons où les choses ne sont pas ce qu'elles semblent être et où ça se termine en incendie 😂 [fin du divulgâcheur].

Pour info, cette édition Penguin Modern Classics contient une postface de Joyce Carol Oates que je n'ai pas bien comprise et qui m'a semblé pousser l'interprétation très loin.

10 commentaires:

  1. Y'a un blurb de Neil Gaiman, c'est foutu, Vert va vouloir te piquer ce livre.
    Mais du coup, j'ai un doute, elle est hantée cette maison ?

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    1. @Baroona: Je n'y avais même pas pensé 🤣 Non, en vrai, la maison n'est pas hantée; j'avais cette idée-là à cuse de son autre roman, Hill House. Mais il y a une notion de hantise, au sens de survivance des souvenirs.

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    2. J'ai appris à me méfier des blurb de Neil Gaiman... mais il faut que je lise du Shirley Jackson un jour oui (j'avais noté son recueil de nouvelles déjà).

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    3. @Vert: En l'occurrence, je suis d'accord avec lui: Shirley Jackson est amazing! 🤩

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    1. @Tigger Lilly: Bien, mon billet rend donc bien honneur au bouquin. En plus, je pense que tu apprécierais tout particulièrement.

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  3. Une narratrice qui écoute son chat lui raconter des histoires, ça vaut le détour ça !

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    1. @Shaya: Héhé! Hélas, on ne saura jamais ce qu'il lui raconte...

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  4. Déjà sur ma LAL, tu me donnes encore plus hâte de le lire!

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