jeudi 29 janvier 2015

Mal barré, le rossignol!

Retour en arrière:
Suite à ma réflexion sur le titre français de An Unsuitable Job for a Woman, je vous propose un long billet que j'avais publié en décembre 2010 sur mon ancien blog, alors que je venais tout juste de découvrir P. D. James. Pour info, j'étais en stage à Luxembourg à l'époque et j'avais un nombre assez conséquent de livres en attente de lecture en France.

Aujourd'hui, au Bazar International de Luxembourg, je furette dans un stand de livres usés. Les livres étant en vente à 1,50€ et de nombreuses langues étant représentées, j'envisage de faire fi de mon interdiction d'acheter le moindre livre avant 2011, due à la quantité effrayante de livres qui m'attendent chez moi (interdiction que j'envisage, au passage, d'étendre jusqu'à l'été 2011). En cherchant dans le coin livres policier, où j'espère trouver du P. D. James, je remarque un titre qui me fait sursauter : "Meurtres en blouse blanche". Arf, c'est bien elle, P. D. James, mais en français, et le titre me fait deviner qu'il s'agit du livre que je viens de lire, "Shroud for a Nightingale". CATASTROPHE.

Voilà un cas exemplaire d'une traduction abominable. Il s'agit d'ailleurs plutôt d'une libre adaptation du titre original, mais enfin c'est tout de même abominable. 

Explications.

Le titre anglais, "Shroud for a Nightingale", contient plusieurs niveaux de sens (oui, je sais, là, on dirait que je suis devenue prof dans mon ex-école). Un nightingale, c'est, tout simplement, un rossignol. Un shroud, c'est un linceul. Mais le sens de ce titre va bien au-delà de "suaire pour un rossignol", qui serait, il faut le dire, un principe assez rigolo... Tout d'abord, il y a, je pense, une référence à Florence Nightingale --qui est d'ailleurs nommée dans le livre--, une infirmière britannique de la fin du XIXe. Mais, surtout, l'action se passe dans l'école d'infirmières d'un hôpital britannique, située dans la Nightingale House, un beau bâtiment victorien du parc de l'hôpital, et les étudiantes infirmières qui vivent et étudient dans Nightingale House sont appelées... nightingales. Ha-ha. Voilà le vrai sens du titre : "Linceul pour une étudiante infirmière de la Nightingale House de l'hôpital John Carpenter". Et, en effet, les victimes sont deux étudiantes : la première est tuée pendant une démonstration, en cours, et l'autre dans sa chambre, au sein du bâtiment. 

Voilà donc un titre à rendre zinzin un traducteur. Je m'étais d'ailleurs demandée comment s'en étaient sortis les différents traducteurs de P. D. James... La seule manière de garder le double (ou triple) sens de nightingale (nom de l'oiseau, nom du bâtiment et dénomination des étudiantes de l'école d'infirmières) aurait été de traduire le nom de la maison, et donc le surnom des étudiantes ; mais, bien sûr, rossignol est autrement moins poétique que nightingale, et c'est un masculin en français : il est donc étrange de l'utiliser pour désigner des étudiantes. Solution à éviter à mes yeux. Il était donc inévitable que le traducteur se tourne vers une adaptation du titre ou décide de le changer complètement en faisant référence à l'intrigue du livre.

Mais je refuse catégoriquement "Meurtres en blouse blanche" pour plusieurs raisons. Tout d'abord, parce qu'il attire l'attention sur le meurtrier, et pas sur la victime comme le fait l'auteur (le linceul est bien sûr destiné à l'étudiante morte, pas à la personne qui l'a tuée). Ensuite, parce qu'il indique d'emblée au lecteur encore ignorant que le meurtrier porte une blouse blanche, alors que l'on est amené à soupçonner l'ensemble du personnel de l'hôpital, y compris le personnel qui ne porte pas de blouse blanche (femmes de ménage, jardiniers, gardien, que sais-je).  En plus, car il est à mille années-lumières de la poésie et de la pureté du titre anglais : "Shroud for a Nightingale", pour moi, c'est le génie de P. D. James et son anglais tellement élégant. Enfin, parce que je trouve ce titre vulgaire et accrocheur, comme si l'on s'adressait à un lecteur un peu retardé à qui il faut expliquer l'histoire pour le convaincre d'acheter le livre, et que je me croirais dans un film X : je suis sûre que l'industrie du porno déborde de "Pétasses en blouse blanche" et de "Partouzes en blouse blanche".

Traducteur désespéré ou volonté commerciale de la maison d'édition française ? Je ne sais pas. Mais il me semble en tout cas que ce titre, par sa simplicité et sa banalité, est à même de rebuter le public le plus susceptible d'apprécier l’œuvre de P. D. James, toute en nuances et pleine de mystères...

4 commentaires:

  1. Malheureusement, c'est loin d'être le seul cas, je me rappelle d'avoir fait un top ten sur le sujet un jour d'ailleurs ^^.

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    1. Ouiii je l'avais fait aussi! :) C'est parfois déroutant!

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  2. Très intéressantes réflexions. Il y a beaucoup d'autres cas. Je me souviens par exemple d'un qui m'avait marqué, un polar, de Michael Connelly, qui s'appelle en français Les égouts de Los Angeles, ce qui est correct en soit, car cela raconte une histoire de cadavre retrouvé dans un égout ... à Los Angeles. Mais en anglais le titre est "The black echo", l'écho noir, qui est le nom que les soldats américains donnaient aux tunnels creusés par les viets pendant la guerre du Vietnam, guerre du Vietnam qui est le vrai sujet du roman. De plus on pourrait même y voir un double sens en se disant que dans ce cas-ci les égouts sont aussi "l'écho noir".

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  3. Mais oui c'est un excellent exemple. Enfin dans ce cas, au moins, le titre français garde un sens pertinent d'après ce que tu me dis. Disons qu'on pourrait argumenter que l'éditeur français a eu peur que le titre "l'écho noir" ne parle à personne en France, alors que "the black echo" pouvait parler à quelques lecteurs américains. C'est tiré par les cheveux car les vétérans du Vietnam ne sont peut-être pas si nombreux mais bon supposons. Mais bon L'Écho noir ça me semblerait un très bon titre, même sans bagage culturel associé pour le lecteur français, c'est dommage! ^^
    Tout ceci me laisse songeuse, quand même.

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