Pot-Bouille est le dixième tome des Rougon-Macquart. Tigger Lilly et moi en sommes donc à la moitié de notre relecture! 😀
L'intrigue
Le jeune et ambitieux Octave Mouret débarque à Paris, bien décidé à faire fortune en séduisant autant de femmes qu'il le faudra. Il s'installe au troisième étage d'un immeuble bourgeois de bonne réputation et commence tout de suite à évaluer les forces féminines en présence afin de repérer ses proies potentielles. Zola va ainsi nous faire entrer dans tous les appartements et révéler une réalité pas très nette...
"Faites ce que je dis, pas ce que je fais"
Pot-Bouille peut se résumer par ces quelques mots. Tout le roman montre le décalage entre les propos vertueux et même fortement moralisateurs des bourgeois de l'immeuble et la réalité de leurs actions: avarice, méchanceté et surtout adultère permanent. Tout le monde ou presque couche à droite et à gauche et tout le monde fait semblant de rien. C'est assez hallucinant. Il y a des codes bien en place pour évaluer ce qui est acceptable ou non et tant que tout le monde fait semblant de ne rien voir, il n'y a aucun problème.
Le cloaque de Downton Abbey
Pot-Bouille peut évoquer Downton Abbey parce qu'il met en scène les bourgeois, qui occupent la partie visible et officielle de l'immeuble, et leurs domestiques, qui se défoulent à la fenêtre des cuisines et vivent dans les chambres de bonne du dernier étage. Mais on ne trouvera ici aucune complicité et sympathie entre les deux classes. Les bourgeois détestent, méprisent, exploitent, critiquent, insultent et violent leurs domestiques, tandis que les domestiques volent et critiquent leurs maîtres. C'est une guerre larvée permanente.
Le viol
Une partie importante des coucheries de Pot-Bouille sont en réalité des viols, plus précisément cette forme de viol dans lequel la femme ne se défend pas vraiment parce que c'est comme ça que les choses vont. C'est le cas de Marie Pichon, qui reste sans défense devant Octave quand il lui saute dessus parce qu'elle n'a aucune forme de caractère et ne connaît/comprend rien au sexe malgré son mariage et une première grossesse, et d'Adèle – même si je n'ai pas suivi qui a couché avec cette pauvre bonne tellement ignorante qu'elle est la victime des domestiques, pas juste des maîtres.
C'est horrible, cette manière dont les hommes ont tous les droits en matière de sexe, et ça reste d'une actualité déconcertante.
De manière plus générale, la place de la femme
Au-delà du viol, ce roman interroge toute l'éducation des femmes de la bourgeoisie: leur enfance surprotégée, leur éducation inexistante, leur passivité extrême dans la vie. Zola estime que l'adultère est la conséquence de cette éducation, qui en fait des sottes, il n'y a pas d'autre mot, ou des hystériques au sens attribué au mot à l'époque, à savoir des personnes ayant des troubles mentaux. Il est vrai que quand on voit la jeune Berthe Josserand traînée par sa mère de salon en salon et jetée à la figure de tous les jeunes hommes susceptibles de l'épouser, on comprend que le mariage ne puisse pas bien se passer. La seule qui s'en sort bien est Mme Hédouin, la propriétaire du Bonheur des Dames, une femme raisonnable, c'est-à-dire douée de raison: travailleuse, prudente, modérée en tout, elle ne perd jamais la tête et aime le travail bien fait. C'est le genre de personne que j'aimerais être et elle met en relief les vertus du travail et tout simplement de la modération (pas au sens de "je me fais discrète" mais de "je ne fais pas n'importe quoi").
Le manteau pudique de la religion
Toute cette population bourgeoise fait bien entendu des professions de foi régulières et profite de l'abbé Mauduit pour se donner un vernis de respectabilité. L'abbé, un religieux mondain, sourit avec élégance et fait semblant de rien, mais on verra qu'il est ravagé par les doutes et est horrifié par les horreurs qu'il voit au quotidien.
Les bons sur le bas-côté, comme d'habitude
Les figures de personnes honnêtes sont rares dans ce livre: il y a Mme Hédouin dont j'ai déjà parlé, Marie Pichon, qui reste une bonne âme dans sa passivité, et le pauvre M. Josserand, qui finira écrasé de chagrin face à toutes les horreurs qui se trament dans sa propre famille...
Une caricature mordante
Pot-Bouille force un peu le trait avec cet immeuble rempli d'horreurs; c'est un réquisitoire contre la bourgeoisie et sa façade moralisatrice et Zola n'y va pas de main-morte. C'est souvent drôle et mordant, mais dans l'ensemble extrêmement déprimant. Je gardais d'ailleurs un souvenir épouvanté de l'accouchement d'Adèle, qui m'a moins terrifiée cette fois-ci mais encore plus attristée (et ce n'est rien par rapport à ce qui nous attend dans La Joie de vivre). Ce ne sera pas mon Zola préféré car je préfère les romans aux descriptions longues, portés par une sorte de souffle littéraire qui m'a manqué ici, mais c'est un roman parfaitement d'actualité, plus de 135 ans après sa publication...
Allez donc voir ailleurs si cette bourgeoisie y est!
L'avis de Tigger Lilly
L'avis de la Petite marchande de prose