dimanche 30 août 2020

La Classe de neige (1995)

Emmanuel Carrère est sans conteste mon écrivain français contemporain préféré. (Bon, ok, il est quasiment le seul écrivain français contemporain que j'apprécie, avec Fabrice Humbert, que je n'ai cependant pas lu depuis au moins cinq ans.) Il parle toujours de ses névroses dans ses bouquins et la chose m'éclate énormément. Avec la Classe de neige, toutefois, on est dans la fiction et le roman, pas dans l'autofiction. J'avais déjà lu et apprécié la Moustache (voir ici), mais là... C'est du lourd, mes petits.


La Classe de neige est le récit d'une classe de neige, celle de Nicolas, un petit garçon de (je crois) neuf ans. La narration est à la troisième personne, mais on est dans la tête de Nicolas. Et c'est en cela que ce roman est brillant: on est dans la tête d'un enfant de neuf ans. Enfin, un enfant de neuf ans passé au prisme d'Emmanuel Carrère, qui a une vision lucide, cynique et désespérée de la vie, ok. Mais néanmoins. Je me suis TELLEMENT retrouvée dans ce récit, c'est un truc de fou. J'ai retrouvé tous les ressentis de mon enfance, toute l'interprétation permanente et quasiment instinctive du comportement des autres enfants et des adultes, et surtout cette impression constante d'être déphasée.

Car Nicolas est un peu déphasé, en effet. Un peu timide, un peu à part, un peu isolé. Pas énormément non plus. Et les choses commencent très mal pour lui puisque son père, après l'avoir déposé au chalet où aura lieu la classe de neige, repart en oubliant de lui donner son sac. Nicolas se retrouve sans pyjama, sans brosse à dent, sans tenue de ski, sans slip de rechange. Quand on a neuf ans, c'est dramatique.

Après avoir frappé dans ses mains pour réclamer l'attention, [la maîtresse] annonça sur un ton de plaisanterie que Nicolas, comme toujours dans la lune, avait oublié son sac. Qui voulait lui prêter un pyjama ?
La liste polycopiée prévoyant que chacun en apporte trois, tout le monde était en mesure de consentir ce prêt, mais personne ne se proposa. Sans oser regarder le cercle d'enfants rassemblés autour d'eux, Nicolas [...] entendit des gloussements, puis une phrase dont il n'identifia pas l'auteur, mais que salua un éclat de rire général :
« Il va pisser dedans ! »

Comme le dit la quatrième de couverture, "dès le début de cette histoire, une menace plane sur Nicolas. Nous le sentons, nous le savons, tout comme il le sait, au fond de lui-même il l'a toujours su." Du coup, la lecture est opprimante, la moindre action devient suspecte. Nicolas a peur de beaucoup de choses et elles nous font peur aussi. Le roman fait à peine 145 pages mais il prend aux tripes et tient en haleine. 

Carrère est aussi très fort pour décrire les films que se fait Nicolas. Une idée lui vient en tête et aussitôt son imagination déroule un scénario complexe, parfois étalé sur des années, avec les réactions de ses proches. Ça m'a parlé aussi. J'ai 35 ans mais je fais encore ça, comme quand j'avais l'âge de Nicolas.

Et la fin, est-elle à la hauteur de la tension du roman? Oui. Et elle adopte un angle que je n'avais jamais vu traité auparavant et qui m'a fait trembler d'effroi. Je ne vous dis rien, au cas où vous le liriez un jour.

Décidément, Carrère est un génie. Je vais continuer à lire ses bouquins. Il vient d'ailleurs de sortir un bouquin appelé Yoga, que j'achèterai quand il sortira en poche. Le prochain que j'ai en vue: Je suis vivant et vous êtes morts, une biographie de Philip K. Dick.

14 commentaires:

  1. J'avais lu "L'adversaire",glaçant, de cet auteur.Je ne connais pas celui-là par contre.Ça à l'air sombre,mais bien à travers ce que tu en dis.

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    1. @Jourdan: Oui, très bien, si tant est que le mot "bien" puisse aller à ce genre de bouquin 🙃

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  2. Je n'ai rien lu de cet auteur, du moins pas encore puisque j'ai prévu de lire Yoga qui vient de paraître.

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    1. @Bonheur du Jour: Super! Bonne lecture et bienvenue.

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  3. Faut trop que je lise ce livre, c'est trop moi Xd

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    1. @Tigger Lilly: Lol! J'espère toutefois que ce n'est pas toi sur tous les plans, sinon tu as une existence quelque peu tragique 🤪

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  4. "La Classe de neige est le récit d'une classe de neige" : merci pour cette investigation Détective Alys. O=)
    Est-ce que tu donnes envie de savoir la fin ? Oui. Mais je crois que c'est le genre de livre qui va me mettre mal à l'aise. =/

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    1. @Baroona: Mince, je crois que je voulais faire une blague sur cette phrase... Et j'ai oublié 😅

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  5. Je n'aurais pas eu l'idée de relire Emmanuel Carrere sans ton article.
    Ce roman est vraiment glauque,dérangeant et l'histoire de ce petit garçon à la fin m'a fendu le cœur. Mais bon,on était prévenu par ta chronique que le thème serait dur.

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    1. @Jourdan: Ah, génial!! (Enfin, toutes proportions gardées!) Ravie d'avoir initié cette lecture, et bienvenue ici.

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  6. Je ne sais pas pourquoi j'ai l'impression d'avoir déjà lu ce roman... Une vague sensation mais tenace.
    Bon si ce n'est pas le cas, je veux le lire, tout ce que tu en dis me parle. Un peu trop peut-être d'ailleurs, mais bon, tu donnes envie.

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    1. @Itenarasa: Il en vaut la peine, que tu l'aies déjà lu ou pas, et il est très court, ce qui peut aider dans un monde où le temps n'est pas extensible...

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