Les vampires ne vieillissent jamais. Mais est-ce qu'ils peuvent survivre au young adult et au wokisme? 🙈
Bon, blagues et provoc' gratuite à part, ce recueil de nouvelles de la maison britannique Titan Books – liée de près à Forbiden Planet, chaîne de magasins pop culturelle 😉 – dirigé par Zoraida Córdova et Natalie C. Parker donne la parole à une dizaine d'autrices et d'auteurs young adult, dont les editrixes en personne, pour proposer un nouveau point de vue sur la figure centenaire du vampire. En effet, les vampires sont majoritairement "des hommes, blancs, cisgenres, hétéros et valides" (je traduis) et nos editrixes avaient envie de changement.
En dépit de quelques bons éléments, le résultat n'est pas bien marquant. Bien que les editrixes semblent croire que les textes réinventent le genre, j'y ai surtout vu du young adult simplet, à commencer par la rédaction: je crois que toutes les nouvelles sont à la première personne et au présent, ce qui a probablement vocation à rapprocher le narrateur du lecteur mais me semble surtout désespérément digne d'un roman pour CE1. Il y a aussi cette manie du young adult (peut-être issue des cours d'écriture créative?) de "montrer sans dire" (le célèbre "show, don't tell") en détaillant, à chaque putain de réplique, ce qu'un personnage fait: il hausse les épaules, il rejette une mèche de cheveux en arrière, il relève les yeux, il regarde son interlocuteur, etc. etc. Je ne supporte plus ce procédé car les romans que je traduis en sont blindés et que ça rend vite un traducteur zinzin de traduire du vent ou dix mille fois la même chose...
Point de vue histoires, on est dans un contexte résolument moderne, même si les thèmes du deuil et du choix restent intemporels. Je ne cite que les textes dont j'ai retenu un minimum quelque chose. Les autres sont déjà oubliés...
Le seul texte un peu inquiétant est The Boys from Blood River de Rebecca Roanhorse, avec son juke box qui diffuse une chanson que personne ne connaît. Sinon, j'ai apprécié Seven Nights for Dying de Tessa Gratton, dans lequel la narratrice a, justement, sept nuit pour décider si elle veut devenir une vampire ou non – un délai de réflexion que j'ai trouvé intéressant pour une décision qui vous engage pour... bein pour toujours, en fait, et qui est souvent bâclée ou subie. A Guidebook for the Newly Sired Desi Vampire de Samira Ahmed se passe en Inde ou est lié de très près à la culture indienne, ce qui change agréablement du monde anglo-saxon, même si je n'ai saisi aucune des références culturelles. Mirrors, Windows & Selfies de Mark Oshiro n'est pas marquant dans son récit, mais a quelque chose d'amusant pour moi car il se compose.... de billets de blog. 😉
Enfin, In Kind de Kayla Whaley m'a fait réfléchir à la valeur que j'accorde à la vie des personnes lourdement handicappées: dans ce texte, la narratrice est en fauteuil roulant et la vampire qui l'a transformée lui a en fait sauvé la vie, son propre père l'ayant étouffée avec un oreiller. Aux yeux de la société, cet homme n'est pas un meurtrier; les médias parlent de "mercy killing", c'est-à-dire de "mort miséricordieuse". Sous-entendu, la jeune femme avait une vie pourrie et il lui a pratiquement rendu un service en la tuant. J'ai passivement adopté ce point de vue jusqu'à ce que je comprenne que la narratrice – qui est la principale intéressée, vu que c'est de sa mort et de sa vie dont on parle – n'était pas du tout du même avis. Son handicap faisait partie d'elle et elle voulait vivre. Voilà qui fait réfléchir...
Et voilà. Un recueil très oubliable pour moi, malgré les points positifs que j'ai abordés ici. C'est un peu la plaie de certains bouquins de young adult: même quand ça part d'une démarche louable et que ça parle de thèmes pertinents, c'est plat...