Il y a une dizaine d’années, j’ai découvert Siri Hustvedt avec le roman Un été sans les hommes, qui m’a beaucoup plu et que j’ai offert à plusieurs personnes depuis (je l’avais d'ailleurs cité dans mon bilan de l’année 2011). Pour je ne sais plus quelle raison, j’ai eu soudain envie de le relire, et grand bien m’en a pris: c’est un très beau livre.
Ce roman raconte un été tout particulier, un peu isolé du
monde. Son mari ayant annoncé, après trente ans de mariage, qu’il souhaitait
faire une pause, la narratrice pète littéralement les plombs, se met à hurler
et finit en psychiatrie pour quelques jours. Une fois cette crise terminée, elle
retourne dans la ville où elle a grandi, où elle retrouve sa mère âgée et donne
un cours de poésie au collège local. Il se trouve que sa mère a noué des
amitiés dans sa maison de retraite et que toutes ces amitiés sont des femmes.
Il se trouve aussi que tous les inscrits au cours de poésie sont des filles. Et
il se trouve enfin que la famille habitant à côté de la location de la
narratrice est composée d’un homme absent et d’une femme présente. C’est ainsi
que commence cet été que la narratrice va passer sans les hommes, avec sept
collégiennes pleines d’hormones, une jeune maman au couple affreux et une bande
d’octogénaires ou nonagénaires amatrices de lecture.
Le roman, traduit de l’anglais par Christine Le Bœuf, se lit
absolument tout seul tout en étant très fin. Qui faut-il féliciter, de
l’autrice ou de la traductrice? Probablement les deux, j’imagine. C’est de la
belle littérature qui s’exprime tout en nuance et manipule des idées, mais avec
une limpidité qui rend le propos parfaitement digeste. Siri Hustvedt est très
ouvertement féministe ici, et elle aborde nombre de sujets problématiques dans
les relations hommes-femmes. Le tout avec un humour grinçant qui fait bien
mouche. Ainsi, au sujet de la "pause" que son mari de trente ans
annonce vouloir prendre, la narratrice explique:
"La Pause était française, elle avait des cheveux châtains plats mais brillants, des seins éloquents qui étaient authentiques, pas fabriqués, d’étroites lunettes rectangulaires et une belle intelligence. Elle était jeune, bien entendu, de vingt ans plus jeune que moi […]."
Des seins éloquents, je trouve ça éloquent, justement. 👀
Et vous conviendrez qu’il y a de quoi se mettre à hurler face au mari qui se
casse avec une femme deux fois plus jeune que lui après trente ans de bons et
loyaux services de son épouse qui a élevé leur enfant et relu toutes ses
publications scientifiques… 👀
Au-delà du désastre conjugal, que la narratrice vit avec une
douleur terrible, le roman parle aussi de relations entre humains: entre mari
et femme, vu qu’elle pense beaucoup à ces trente années partagées, entre mère
et fille, entre amis, entre gens qui souffrent. Une belle galerie de
personnages qui respirent précisément parce qu’ils n’ont aucune certitude, mais
beaucoup de sensibilité. Des humains, tout simplement. Et des humains qui
touchent à la littérature: les ados écervelées du cours de poésie vont révéler
des histoires bien personnelles au sein d’une intrigue plus dure liée au
harcèlement scolaire, la narratrice exprime ses pensées par la poésie, et les
retraitées épluchent les bouquins de Jane Austen à leur club de lecture.
"Ma mère était à son club de lecture en train de discuter de l’Emma d’Austen devant un assortiment de fromages […]."
Après Un été sans les hommes, j’ai aussi lu Élégie pour un Américain, que je n’ai pas du tout aimé, et Un monde flamboyant, qui m’a moins emballée. Je ne sais donc pas trop si je continuerai un jour avec Siri Hustvedt (ou peut-être avec un essai plutôt qu’un roman?). Mais ce roman-ci, je vous le conseille sans hésitation; c’est un beau récit qui tire vers le haut, et des gens qu’on aimerait bien connaître dans la vraie vie. 💖 Et j’adore cette couverture de Rodney Smith, avec Actes Sud qui indique le nom de la traductrice en couverture. 💪
Allez donc voir ailleurs si cet été y est!
L'avis de Shaya